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Book online «De la Terre à la Lune, Jules Verne [best romance ebooks .txt] 📗». Author Jules Verne



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*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE LA TERRE � LA LUNE *** Produced by John Walker; HTML version by Chuck Greif De la Terre � la Lune
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par

Jules Verne



I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XVI, XVII, XVIII, XIX, XX, XXI, XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXVI, XXVII, XXVIII I

LE GUN-CLUB

Pendant la guerre f�d�rale des �tats-Unis, un nouveau club tr�s influent s'�tablit dans la ville de Baltimore, en plein Maryland. On sait avec quelle �nergie l'instinct militaire se d�veloppa chez ce peuple d'armateurs, de marchands et de m�caniciens. De simples n�gociants enjamb�rent leur comptoir pour s'improviser capitaines, colonels, g�n�raux, sans avoir pass� par les �coles d'application de West-Point [�cole militaire des �tats-Unis.]; ils �gal�rent bient�t dans �L'art de la guerre� leurs coll�gues du vieux continent, et comme eux ils remport�rent des victoires � force de prodiguer les boulets, les millions et les hommes.

Mais en quoi les Am�ricains surpass�rent singuli�rement les Europ�ens, ce fut dans la science de la balistique. Non que leurs armes atteignissent un plus haut degr� de perfection, mais elles offrirent des dimensions inusit�es, et eurent par cons�quent des port�es inconnues jusqu'alors. En fait de tirs rasants, plongeants ou de plein fouet, de feux d'�charpe, d'enfilade ou de revers, les Anglais, les Fran�ais, les Prussiens, n'ont plus rien � apprendre; mais leurs canons, leurs obusiers, leurs mortiers ne sont que des pistolets de poche aupr�s des formidables engins de l'artillerie am�ricaine.

Ceci ne doit �tonner personne. Les Yankees, ces premiers m�caniciens du monde, sont ing�nieurs, comme les Italiens sont musiciens et les Allemands m�taphysiciens,—de naissance. Rien de plus naturel, d�s lors, que de les voir apporter dans la science de la balistique leur audacieuse ing�niosit�. De l� ces canons gigantesques, beaucoup moins utiles que les machines � coudre, mais aussi �tonnants et encore plus admir�s. On conna�t en ce genre les merveilles de Parrott, de Dahlgreen, de Rodman. Les Armstrong, les Pallisser et les Treuille de Beaulieu n'eurent plus qu'� s'incliner devant leurs rivaux d'outre-mer.

Donc, pendant cette terrible lutte des Nordistes et des Sudistes, les artilleurs tinrent le haut du pav�; les journaux de l'Union c�l�braient leurs inventions avec enthousiasme, et il n'�tait si mince marchand, si na�f �booby� [Badaud.], qui ne se cass�t jour et nuit la t�te � calculer des trajectoires insens�es.

Or, quand un Am�ricain a une id�e, il cherche un second Am�ricain qui la partage. Sont-ils trois, ils �lisent un pr�sident et deux secr�taires. Quatre, ils nomment un archiviste, et le bureau fonctionne. Cinq, ils se convoquent en assembl�e g�n�rale, et le club est constitu�. Ainsi arriva-t-il � Baltimore. Le premier qui inventa un nouveau canon s'associa avec le premier qui le fondit et le premier qui le fora. Tel fut le noyau du Gun-Club [Litt�ralement �Club-Canon�.]. Un mois apr�s sa formation, il comptait dix-huit cent trente-trois membres effectifs et trente mille cinq cent soixante-quinze membres correspondants.

Une condition sine qua non �tait impos�e � toute personne qui voulait entrer dans l'association, la condition d'avoir imagin� ou, tout au moins, perfectionn� un canon; � d�faut de canon, une arme � feu quelconque. Mais, pour tout dire, les inventeurs de revolvers � quinze coups, de carabines pivotantes ou de sabres-pistolets ne jouissaient pas d'une grande consid�ration. Les artilleurs les primaient en toute circonstance.

�L'estime qu'ils obtiennent, dit un jour un des plus savants orateurs du Gun-Club, est proportionnelle �aux masses� de leur canon, et �en raison directe du carr� des distances� atteintes par leurs projectiles!

Un peu plus, c'�tait la loi de Newton sur la gravitation universelle transport�e dans l'ordre moral.

Le Gun-Club fond�, on se figure ais�ment ce que produisit en ce genre le g�nie inventif des Am�ricains. Les engins de guerre prirent des proportions colossales, et les projectiles all�rent, au-del� des limites permises, couper en deux les promeneurs inoffensifs. Toutes ces inventions laiss�rent loin derri�re elles les timides instruments de l'artillerie europ�enne. Qu'on en juge par les chiffres suivants.

Jadis, �au bon temps�, un boulet de trente-six, � une distance de trois cents pieds, traversait trente-six chevaux pris de flanc et soixante-huit hommes. C'�tait l'enfance de l'art. Depuis lors, les projectiles ont fait du chemin. Le canon Rodman, qui portait � sept milles [Le mille vaut 1609 m�tres 31 centim�tres. Cela fait donc pr�s de trois lieues.] un boulet pesant une demi-tonne [Cinq cents kilogrammes.] aurait facilement renvers� cent cinquante chevaux et trois cents hommes. Il fut m�me question au Gun-Club d'en faire une �preuve solennelle. Mais, si les chevaux consentirent � tenter l'exp�rience, les hommes firent malheureusement d�faut.

Quoi qu'il en soit, l'effet de ces canons �tait tr�s meurtrier, et � chaque d�charge les combattants tombaient comme des �pis sous la faux. Que signifiaient, aupr�s de tels projectiles, ce fameux boulet qui, � Coutras, en 1587, mit vingt-cinq hommes hors de combat, et cet autre qui, � Zorndoff, en 1758, tua quarante fantassins, et, en 1742, ce canon autrichien de Kesselsdorf, dont chaque coup jetait soixante-dix ennemis par terre? Qu'�taient ces feux surprenants d'I�na ou d'Austerlitz qui d�cidaient du sort de la bataille? On en avait vu bien d'autres pendant la guerre f�d�rale! Au combat de Gettysburg, un projectile conique lanc� par un canon ray� atteignit cent soixante-treize conf�d�r�s; et, au passage du Potomac, un boulet Rodman envoya deux cent quinze Sudistes dans un monde �videmment meilleur. Il faut mentionner �galement un mortier formidable invent� par J.-T. Maston, membre distingu� et secr�taire perp�tuel du Gun-Club, dont le r�sultat fut bien autrement meurtrier, puisque, � son coup d'essai, il tua trois cent trente-sept personnes,—en �clatant, il est vrai!

Qu'ajouter � ces nombres si �loquents par eux-m�mes? Rien. Aussi admettra-t-on sans conteste le calcul suivant, obtenu par le statisticien Pitcairn: en divisant le nombre des victimes tomb�es sous les boulets par celui des membres du Gun-Club, il trouva que chacun de ceux-ci avait tu� pour son compte une �moyenne� de deux mille trois cent soixante-quinze hommes et une fraction.

A consid�rer un pareil chiffre, il est �vident que l'unique pr�occupation de cette soci�t� savante fut la destruction de l'humanit� dans un but philanthropique, et le perfectionnement des armes de guerre, consid�r�es comme instruments de civilisation.

C'�tait une r�union d'Anges Exterminateurs, au demeurant les meilleurs fils du monde.

Il faut ajouter que ces Yankees, braves � toute �preuve, ne s'en tinrent pas seulement aux formules et qu'ils pay�rent de leur personne. On comptait parmi eux des officiers de tout grade, lieutenants ou g�n�raux, des militaires de tout �ge, ceux qui d�butaient dans la carri�re des armes et ceux qui vieillissaient sur leur aff�t. Beaucoup rest�rent sur le champ de bataille dont les noms figuraient au livre d'honneur du Gun-Club, et de ceux qui revinrent la plupart portaient les marques de leur indiscutable intr�pidit�. B�quilles, jambes de bois, bras articul�s, mains � crochets, m�choires en caoutchouc, cr�nes en argent, nez en platine, rien ne manquait � la collection, et le susdit Pitcairn calcula �galement que, dans le Gun-Club, il n'y avait pas tout � fait un bras pour quatre personnes, et seulement deux jambes pour six.

Mais ces vaillants artilleurs n'y regardaient pas de si pr�s, et ils se sentaient fiers � bon droit, quand le bulletin d'une bataille relevait un nombre de victimes d�cuple de la quantit� de projectiles d�pens�s.

Un jour, pourtant, triste et lamentable jour, la paix fut sign�e par les survivants de la guerre, les d�tonations cess�rent peu � peu, les mortiers se turent, les obusiers musel�s pour longtemps et les canons, la t�te basse, rentr�rent aux arsenaux, les boulets s'empil�rent dans les parcs, les souvenirs sanglants s'effac�rent, les cotonniers pouss�rent magnifiquement sur les champs largement engraiss�s, les v�tements de deuil achev�rent de s'user avec les douleurs, et le Gun-Club demeura plong� dans un d�sœuvrement profond.

Certains piocheurs, des travailleurs acharn�s, se livraient bien encore � des calculs de balistique; ils r�vaient toujours de bombes gigantesques et d'obus incomparables. Mais, sans la pratique, pourquoi ces vaines th�ories? Aussi les salles devenaient d�sertes, les domestiques dormaient dans les antichambres, les journaux moisissaient sur les tables, les coins obscurs retentissaient de ronflements tristes, et les membres du Gun-Club, jadis si bruyants, maintenant r�duits au silence par une paix d�sastreuse, s'endormaient dans les r�veries de l'artillerie platonique!

�C'est d�solant, dit un soir le brave Tom Hunter, pendant que ses jambes de bois se carbonisaient dans la chemin�e du fumoir. Rien � faire! rien � esp�rer! Quelle existence fastidieuse! O� est le temps o� le canon vous r�veillait chaque matin par ses joyeuses d�tonations?

—Ce temps-l� n'est plus, r�pondit le fringant Bilsby, en cherchant � se d�tirer les bras qui lui manquaient. C'�tait un plaisir alors! On inventait son obusier, et, � peine fondu, on courait l'essayer devant l'ennemi; puis on rentrait au camp avec un encouragement de Sherman ou une poign�e de main de MacClellan! Mais, aujourd'hui, les g�n�raux sont retourn�s � leur comptoir, et, au lieu de projectiles, ils exp�dient d'inoffensives balles de coton! Ah! par sainte Barbe! l'avenir de l'artillerie est perdu en Am�rique!

—Oui, Bilsby, s'�cria le colonel Blomsberry, voil� de cruelles d�ceptions! Un jour on quitte ses habitudes tranquilles, on s'exerce au maniement des armes, on abandonne Baltimore pour les champs de bataille, on se conduit en h�ros, et, deux ans, trois ans plus tard, il faut perdre le fruit de tant de fatigues, s'endormir dans une d�plorable oisivet� et fourrer ses mains dans ses poches.

Quoi qu'il p�t dire, le vaillant colonel e�t �t� fort emp�ch� de donner une pareille marque de son d�sœuvrement, et cependant, ce n'�taient pas les poches qui lui manquaient.

�Et nulle guerre en perspective! dit alors le fameux J.-T. Maston, en grattant de son crochet de fer son cr�ne en gutta-percha. Pas un nuage � l'horizon, et cela quand il y a tant � faire dans la science de l'artillerie! Moi qui vous parle, j'ai termin� ce matin une �pure, avec plan, coupe et �l�vation, d'un mortier destin� � changer les lois de la guerre!

—Vraiment? r�pliqua Tom Hunter, en songeant involontairement au dernier essai de l'honorable J.-T. Maston.

—Vraiment, r�pondit celui-ci. Mais � quoi serviront tant d'�tudes men�es � bonne fin, tant de difficult�s vaincues? N'est-ce pas travailler en pure perte? Les peuples du Nouveau Monde semblent s'�tre donn� le mot pour vivre en paix, et notre belliqueux Tribune [Le plus fougueux journal abolitionniste de l'Union.] en arrive � pronostiquer de prochaines catastrophes dues � l'accroissement scandaleux des populations!

—Cependant, Maston, reprit le colonel Blomsberry, on se bat toujours en Europe pour soutenir le principe des nationalit�s!

—Eh bien?

—Eh bien! il y aurait peut-�tre quelque chose � tenter l�-bas, et si l'on acceptait nos services...

—Y pensez-vous? s'�cria Bilsby. Faire de la balistique au profit des �trangers!

—Cela vaudrait mieux que de n'en pas faire du tout, riposta le colonel.

—Sans doute, dit J.-T. Maston, cela vaudrait mieux, mais il ne faut m�me pas songer � cet exp�dient.

—Et pourquoi cela? demanda le colonel.

—Parce qu'ils ont dans le Vieux Monde des id�es sur l'avancement qui contrarieraient toutes nos habitudes am�ricaines. Ces gens-l� ne s'imaginent pas qu'on puisse devenir g�n�ral en chef avant d'avoir servi comme sous-lieutenant, ce qui reviendrait � dire qu'on ne saurait �tre bon pointeur � moins d'avoir fondu le canon soi-m�me! Or, c'est tout simplement...

—Absurde! r�pliqua Tom Hunter en d�chiquetant les bras de son fauteuil � coups de �bowie-knife� [Couteau � large lame.], et puisque les choses en sont l�, il ne nous reste plus qu'� planter du tabac ou � distiller de l'huile de baleine!

—Comment! s'�cria J.-T. Maston d'une voix retentissante, ces derni�res ann�es de notre existence, nous ne les emploierons pas au perfectionnement des armes � feu! Une nouvelle occasion ne se rencontrera pas d'essayer la port�e de nos projectiles! L'atmosph�re ne s'illuminera plus sous l'�clair de nos canons! Il ne surgira pas une difficult� internationale qui nous permette de d�clarer la guerre � quelque puissance transatlantique! Les Fran�ais ne couleront pas un seul de nos steamers, et les Anglais ne pendront pas, au m�pris du droit des gens, trois ou quatre de nos nationaux!

—Non, Maston, r�pondit le colonel Blomsberry, nous n'aurons pas ce bonheur! Non! pas un de ces incidents ne se produira, et, se produis�t-il, nous n'en profiterions m�me pas! La susceptibilit� am�ricaine s'en va de jour en jour, et nous tombons en quenouille!

—Oui, nous nous humilions! r�pliqua Bilsby.

—Et on nous humilie! riposta Tom Hunter.

—Tout cela n'est que trop vrai, r�pliqua J.-T. Maston avec une nouvelle v�h�mence. Il y a dans l'air mille raisons de se battre et l'on ne se bat pas! On �conomise des bras et des jambes, et cela

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