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Book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 2, Jules Verne [the two towers ebook TXT] 📗». Author Jules Verne



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liberté sous serment de ne jamais révéler son existence ? Serment d'honneur que nous aurions tenu. Mais il fallait traiter cette délicate question avec le capitaine. Or, serais-je bien venu à réclamer cette liberté ? Lui-même n'avait-il pas déclaré, dès le début et d'une façon formelle, que le secret de sa vie exigeait notre emprisonnement perpétuel à bord du Nautilus ? Mon silence, depuis quatre mois, ne devait-il pas lui paraître une acceptation tacite de cette situation ? Revenir sur ce sujet n'aurait-il pas pour résultat de donner des soupçons qui pourraient nuire à nos projets, si quelque circonstance favorable se présentait plus tard de les reprendre ? Toutes ces raisons, je les pesais, je les retournais dans mon esprit, je les soumettais à Conseil qui n'était pas moins embarrassé que moi. En somme, bien que je ne fusse pas facile à décourager, je comprenais que les chances de jamais revoir mes semblables diminuaient de jour en jour, surtout en ce moment où le capitaine Nemo courait en téméraire vers le sud de l'Atlantique !

Pendant les dix-neuf jours que j'ai mentionnés plus haut, aucun incident particulier ne signala notre voyage. Je vis peu le capitaine. Il travaillait. Dans la bibliothèque je trouvais souvent des livres qu'il laissait entr'ouverts, et surtout des livres d'histoire naturelle. Mon ouvrage sur les fonds sous-marins, feuilleté par lui, était couvert de notes en marge, qui contredisaient parfois mes théories et mes systèmes. Mais le capitaine se contentait d'épurer ainsi mon travail, et il était rare qu'il discutât avec moi. Quelquefois, j'entendais résonner les sons mélancoliques de son orgue, dont il jouait avec beaucoup d'expression, mais la nuit seulement, au milieu de la plus secrète obscurité, lorsque le Nautilus s'endormait dans les déserts de l'Océan.

Pendant cette partie du voyage, nous naviguâmes des journées entières à la surface des flots. La mer était comme abandonnée. A peine quelques navires à voiles, en charge pour les Indes, se dirigeant vers le cap de Bonne-Espérance. Un jour nous fûmes poursuivis par les embarcations d'un baleinier qui nous prenait sans doute pour quelque énorme baleine d'un haut prix. Mais le capitaine Nemo ne voulut pas faire perdre à ces braves gens leur temps et leurs peines, et il termina la chasse en plongeant sous les eaux. Cet incident avait paru vivement intéresser Ned Land. Je ne crois pas me tromper en disant que le Canadien avait dû regretter que notre cétacé de tôle ne pût être frappé à mort par le harpon de ces pêcheurs.

Les poissons observés par Conseil et par moi, pendant cette période, différaient peu de ceux que nous avions déjà étudiés sous d'autres latitudes. Les principaux furent quelques échantillons de ce terrible genre de cartilagineux, divisé en trois sous-genres qui ne comptent pas moins de trente-deux espèces : des squales-galonnés, longs de cinq mètres, à tête déprimée et plus large que le corps, à nageoire caudale arrondie, et dont le dos porte sept grandes bandes noires parallèles et longitudinales puis des squales-perlons, gris cendré, percés de sept ouvertures branchiales et pourvus d'une seule nageoire dorsale placée à peu près vers le milieu du corps.

Passaient aussi de grands chiens de mer, poissons voraces s'il en fut. On a le droit de ne point croire aux récits des pêcheurs, mais voici ce qu'ils racontent. On a trouvé dans le corps de l'un de ces animaux une tête de buffle et un veau tout entier ; dans un autre, deux thons et un matelot en uniforme ; dans un autre, un soldat avec son sabre ; dans un autre enfin, un cheval avec son cavalier. Tout ceci, à vrai dire, n'est pas article de foi. Toujours est-il qu'aucun de ces animaux ne se laissa prendre aux filets du Nautilus, et que je ne pus vérifier leur voracité.

Des troupes élégantes et folâtres de dauphins nous accompagnèrent pendant des jours entiers. Ils allaient par bandes de cinq ou six, chassant en meute comme les loups dans les campagnes d'ailleurs, non moins voraces que les chiens de mer, si j'en crois un professeur de Copenhague, qui retira de l'estomac d'un dauphin treize marsouins et quinze phoques. C'était, il est vrai un épaulard, appartenant à la plus grande espèce connue, et dont la longueur dépasse quelquefois vingt-quatre pieds. Cette famille des delphiniens compte dix genres, et ceux que j'aperçus tenaient du genre des delphinorinques, remarquables par un museau excessivement étroit et quatre fois long comme le crâne. Leur corps, mesurant trois mètres, noir en dessus, était en dessous d'un blanc rosé semé de petites taches très rares.

Je citerai aussi, dans ces mers, de curieux échantillons de ces poissons de l'ordre des acanthoptérigiens et de la famille des sciénoides. Quelques auteurs — plus poètes que naturalistes — prétendent que ces poissons chantent mélodieusement, et que leurs voix réunies forment un concert qu'un choeur de voix humaines ne saurait égaler. Je ne dis pas non, mais ces scènes ne nous donnèrent aucune sérénade à notre passage, et je le regrette.

Pour terminer enfin, Conseil classa une grande quantité de poissons volants. Rien n'était plus curieux que de voir les dauphins leur donner la chasse avec une précision merveilleuse. Quelle que fût la portée de son vol, quelque trajectoire qu'il décrivît, même au-dessus du Nautilus, l'infortuné poisson trouvait toujours la bouche du dauphin ouverte pour le recevoir. C'étaient ou des pirapèdes, ou des trigles-milans, à bouche lumineuse, qui, pendant la nuit, après avoir tracé des raies de feu dans l'atmosphère, plongeaient dans les eaux sombres comme autant d'étoiles filantes.

Jusqu'au 13 mars, notre navigation se continua dans ces conditions. Ce jour-là, le Nautilus fut employé à des expériences de sondages qui m'intéressèrent vivement.

Nous avions fait alors près de treize mille lieues depuis notre départ dans les hautes mers du Pacifique. Le point nous mettait par 450°37' de latitude sud et 370°53' de longitude ouest. C'étaient ces mêmes parages où le capitaine Denham de l'Hérald fila quatorze mille mètres de sonde sans trouver de fond. Là aussi, le lieutenant Parcker de la frégate américaine Congress n'avait pu atteindre le sol sous-marin par quinze mille cent quarante mètres.

Le capitaine Nemo résolut d'envoyer son Nautilus à la plus extrême profondeur à fin de contrôler ces différents sondages. Je me préparai à noter tous les résultats de l'expérience. Les panneaux du salon furent ouverts, et les manoeuvres commencèrent pour atteindre ces couches si prodigieusement reculées.

On pense bien qu'il ne fut pas question de plonger en remplissant les réservoirs. Peut-être n'eussent-ils pu accroître suffisamment la pesanteur spécifique du Nautilus. D'ailleurs, pour remonter, il aurait fallu chasser cette surcharge d'eau, et les pompes n'auraient pas été assez puissantes pour vaincre la pression extérieure.

Le capitaine Nemo résolut d'aller chercher le fond océanique par une diagonale suffisamment allongée, au moyen de ses plans latéraux qui furent placés sous un angle de quarante-cinq degrés avec les lignes d'eau du Nautilus. Puis, l'hélice fut portée à son maximum de vitesse, et sa quadruple branche battit les flots avec une indescriptible violence.

Sous cette poussée puissante, la coque du Nautilus frémit comme une corde sonore et s'enfonça régulièrement sous les eaux. Le capitaine et moi, postés dans le salon, nous suivions l'aiguille du manomètre qui déviait rapidement. Bientôt fut dépassée cette zone habitable où résident la plupart des poissons. Si quelques-uns de ces animaux ne peuvent vivre qu'à la surface des mers ou des fleuves, d'autres, moins nombreux, se tiennent à des profondeurs assez grandes. Parmi ces derniers, j'observais l'hexanche, espèce de chien de mer muni de six fentes respiratoires, le télescope aux yeux énormes, le malarmat-cuirassé, aux thoracines grises, aux pectorales noires, que protégeait son plastron de plaques osseuses d'un rouge pâle, puis enfin le grenadier, qui, vivant par douze cents mètres de profondeur, supportait alors une pression de cent vingt atmosphères.

Je demandai au capitaine Nemo s'il avait observé des poissons à des profondeurs plus considérables.

« Des poissons ? me répondit-il, rarement. Mais dans l'état actuel de la science, que présume-t-on, que sait-on ?

— Le voici, capitaine. On sait que en allant vers les basses couches de l'Océan, la vie végétale disparaît plus vite que la vie animale. On sait que, là où se rencontrent encore des êtres animés, ne végète plus une seule hydrophyte. On sait que les pèlerines, les huîtres vivent par deux mille mètres d'eau, et que Mac Clintock, le héros des mers polaires, a retiré une étoile vivante d'une profondeur de deux mille cinq cents mètres. On sait que l'équipage du Bull-Dog, de la Marine Royale, a pêché une astérie par deux mille six cent vingt brasses, soit plus d'une lieue de profondeur. Mais, capitaine Nemo, peut-être me direz-vous qu'on ne sait rien ?

— Non, monsieur le professeur, répondit le capitaine, je n'aurai pas cette impolitesse. Toutefois, je vous demanderai comment vous expliquez que des êtres puissent vivre à de telles profondeurs ?

— Je l'explique par deux raisons, répondis-je. D'abord, parce que les courants verticaux, déterminés par les différences de salure et de densité des eaux, produisent un mouvement qui suffit à entretenir la vie rudimentaire des encrines et des astéries.

— Juste, fit le capitaine.

— Ensuite, parce que, si l'oxygène est la base de la vie, on sait que la quantité d'oxygène dissous dans l'eau de mer augmente avec la profondeur au lieu de diminuer, et que la pression des couches basses contribue à l'y comprimer.

— Ah ! on sait cela ? répondit le capitaine Nemo, d'un ton légèrement surpris. Eh bien, monsieur le professeur, on a raison de le savoir, car c'est la vérité. J'ajouterai, en effet, que la vessie natatoire des poissons renferme plus d'azote que d'oxygène, quand ces animaux sont pêchés à la surface des eaux, et plus d'oxygène que d'azote, au contraire, quand ils sont tirés des grandes profondeurs. Ce qui donne raison à votre système. Mais continuons nos observations. »

Mes regards se reportèrent sur le manomètre. L'instrument indiquait une profondeur de six mille mètres. Notre immersion durait depuis une heure. Le Nautilus, glissant sur ses plans inclinés, s'enfonçait toujours. Les eaux désertes étaient admirablement transparentes et d'une diaphanité que rien ne saurait peindre. Une heure plus tard, nous étions par treize mille mètres — trois lieues et quart environ — et le fond de l'Océan ne se laissait pas pressentir.

Cependant, par quatorze mille mètres, j'aperçus des pics noirâtres qui surgissaient au milieu des eaux. Mais ces sommets pouvaient appartenir à des montagnes hautes comme l'Hymalaya ou le Mont-Blanc, plus hautes même, et la profondeur de ces abîmes demeurait inévaluable.

Le Nautilus descendit plus bas encore, malgré les puissantes pressions qu'il subissait. Je sentais ses tôles trembler sous la jointure de leurs boulons ; ses barreaux s'arquaient ; ses cloisons gémissaient ; les vitres du salon semblaient se gondoler sous la pression des eaux. Et ce solide appareil eût cédé sans doute, si, ainsi que l'avait dit son capitaine, il n'eût été capable de résister comme un bloc plein.

En rasant les pentes de ces roches perdues sous les eaux, j'apercevais encore quelques coquilles, des serpuls, des spinorbis vivantes, et certains échantillons d'astéries.

Mais bientôt ces derniers représentants de la vie animale disparurent, et, au-dessous de trois lieues, le Nautilus dépassa les limites de l'existence sous-marine, comme fait le ballon qui s'élève dans les airs au-dessus des zones respirables. Nous avions atteint une profondeur de seize mille mètres — quatre lieues — et les flancs du Nautilus supportaient alors une pression de seize cents atmosphères, c'est-à-dire seize cents kilogrammes par chaque centimètre carré de sa surface !

« Quelle situation ! m'écriai-je. Parcourir dans ces régions profondes où l'homme n'est jamais parvenu ! Voyez, capitaine, voyez ces rocs magnifiques, ces grottes inhabitées, ces derniers réceptacles du globe, où la vie n'est plus possible ! Quels sites inconnus et pourquoi faut-il que nous soyons réduits à n'en conserver que le souvenir ?

— Vous plairait-il, me demanda le capitaine Nemo, d'en rapporter mieux que le souvenir ?

— Que voulez-vous dire par ces paroles ?

— Je veux dire que rien n'est plus facile que de prendre une vue photographique de cette régions sous-marine ! »

Je n'avais pas eu le temps d'exprimer la surprise que me causait cette nouvelle proposition, que sur un appel du capitaine Nemo, un objectif était apporté dans le salon. Par les panneaux largement ouverts, le milieu liquide éclairé électriquement, se distribuait avec une clarté parfaite. Nulle

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