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Book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 2, Jules Verne [the two towers ebook TXT] 📗». Author Jules Verne



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qui commence la période équinoxiale.

Le 14 mars, j'aperçus des glaces flottantes par 55° de latitude, simples débris blafards de vingt à vingt-cinq pieds, formant des écueils sur lesquels la mer déferlait. Le Nautilus se maintenait à la surface de l'Océan. Ned Land, ayant déjà pêché dans les mers arctiques, était familiarisé avec ce spectacle des icebergs. Conseil et moi, nous l'admirions pour la première fois.

Dans l'atmosphère, vers l'horizon du sud, s'étendait une bande blanche d'un éblouissant aspect. Les baleiniers anglais lui ont donné le nom de « ice-blinck ». Quelque épais que soient les nuages, ils ne peuvent l'obscurcir. Elle annonce la présence d'un pack ou banc de glace.

En effet, bientôt apparurent des blocs plus considérables dont l'éclat se modifiait suivant les caprices de la brume. Quelques-unes de ces masses montraient des veines vertes, comme si le sulfate de cuivre en eût tracé les lignes ondulées. D'autres, semblables à d'énormes améthystes, se laissaient pénétrer par la lumière. Celles-ci réverbéraient les rayons du jour sur les mille facettes de leurs cristaux. Celles-là, nuancées des vifs reflets du calcaire, auraient suffi à la construction de toute une ville de marbre.

Plus nous descendions au sud, plus ces îles flottantes gagnaient en nombre et en importance. Les oiseaux polaires y nichaient par milliers. C'étaient des pétrels, des damiers, des puffins, qui nous assourdissaient de leurs cris. Quelques-uns, prenant le Nautilus pour le cadavre d'une baleine, venaient s'y reposer et piquaient de coups de bec sa tôle sonore.

Pendant cette navigation au milieu des glaces, le capitaine Nemo se tint souvent sur la plate-forme. Il observait avec attention ces parages abandonnés. Je voyais son calme regard s'animer parfois. Se disait-il que dans ces mers polaires interdites à l'homme, il était là chez lui, maître de ces infranchissables espaces ? Peut-être. Mais il ne parlait pas. Il restait immobile, ne revenant à lui que lorsque ses instincts de manoeuvrier reprenaient le dessus. Dirigeant alors son Nautilus avec une adresse consommée, il évitait habilement le choc de ces masses dont quelques-unes mesuraient une longueur de plusieurs milles sur une hauteur qui variait de soixante-dix à quatre-vingts mètres. Souvent l'horizon paraissait entièrement fermé. A la hauteur du soixantième degré de latitude, toute passe avait disparu. Mais le capitaine Nemo, cherchant avec soin, trouvait bientôt quelque étroite ouverture par laquelle il se glissait audacieusement, sachant bien, cependant, qu'elle se refermerait derrière lui.

Ce fut ainsi que le Nautilus, guidé par cette main habile, dépassa toutes ces glaces, classées, suivant leur forme ou leur grandeur, avec une précision qui enchantait Conseil: icebergs ou montagnes, ice-fields ou champs unis et sans limites, drift-ice ou glaces flottantes, packs ou champs brisés, nommés palchs quand ils sont circulaires, et streams lorsqu'ils sont faits de morceaux allongés.

La température était assez basse. Le thermomètre, exposé à l'air extérieur, marquait deux à trois degrés au-dessous de zéro. Mais nous étions chaudement habillés de fourrures, dont les phoques ou les ours marins avaient fait les frais. L'intérieur du Nautilus, régulièrement chauffé par ses appareils électriques, défiait les froids les plus intenses. D'ailleurs, il lui eût suffi de s'enfoncer à quelques mètres au-dessous des flots pour y trouver une température supportable.

Deux mois plus tôt, nous aurions joui sous cette latitude d'un jour perpétuel; mais déjà la nuit se faisait pendant trois ou quatre heures, et plus tard, elle devait jeter six mois d'ombre sur ces régions circumpolaires.

Le 15 mars, la latitude des îles New-Shetland et des Orkney du Sud fut dépassée. Le capitaine m'apprit qu'autrefois de nombreuses tribus de phoques habitaient ces terres; mais les baleiniers anglais et américains, dans leur rage de destruction, massacrant les adultes et les femelles pleines, là où existait l'animation de la vie, avaient laissé après eux le silence de la mort.

Le 16 mars, vers huit heures du matin, le Nautilus, suivant le cinquante-cinquième méridien, coupa le cercle polaire antarctique. Les glaces nous entouraient de toutes parts et fermaient l'horizon. Cependant, le capitaine Nemo marchait de passe en passe et s'élevait toujours.

« Mais où va-t-il ? demandai-je.

— Devant lui, répondait Conseil. Après tout, lorsqu'il ne pourra pas aller plus loin, il s'arrêtera.

— Je n'en jurerais pas ! » répondis-je.

Et, pour être franc, j'avouerai que cette excursion aventureuse ne me déplaisait point. A quel degré m'émerveillaient les beautés de ces régions nouvelles, je ne saurais l'exprimer. Les glaces prenaient des attitudes superbes. Ici, leur ensemble formait une ville orientale, avec ses minarets et ses mosquées innombrables. Là, une cité écroulée et comme jetée à terre par une convulsion du sol. Aspects incessamment variés par les obliques rayons du soleil, ou perdus dans les brumes grises au milieu des ouragans de neige. Puis, de toutes parts des détonations, des éboulements, de grandes culbutes d'icebergs, qui changeaient le décor comme le paysage d'un diorama.

Lorsque le Nautilus était immergé au moment où se rompaient ces équilibres, le bruit se propageait sous les eaux avec une effrayante intensité, et la chute de ces masses créait de redoutables remous jusque dans les couches profondes de l'Océan. Le Nautilus roulait et tanguait alors comme un navire abandonne à la furie des éléments.

Souvent, ne voyant plus aucune issue, je pensais que nous étions définitivement prisonniers; mais, l'instinct le guidant, sur le plus léger indice le capitaine Nemo découvrait des passes nouvelles. Il ne se trompait jamais en observant les minces filets d'eau bleuâtre qui sillonnaient les ice-fields. Aussi ne mettais-je pas en doute qu'il n'eût aventuré déjà le Nautilus au milieu des mers antarctiques.

Cependant, dans la journée du 16 mars, les champs de glace nous barrèrent absolument la route. Ce n'était pas encore la banquise, mais de vastes ice-fields cimentés par le froid. Cet obstacle ne pouvait arrêter le capitaine Nemo, et il se lança contre l'ice-field avec une effroyable violence. Le Nautilus entrait comme un coin dans cette masse friable, et la divisait avec des craquements terribles. C'était l'antique bélier poussé par une puissance infinie. Les débris de glace, haut projetés, retombaient en grêle autour de nous. Par sa seule force d'impulsion, notre appareil se creusait un chenal. Quelquefois, emporté par son élan, il montait sur le champ de glace et l'écrasait de son poids, ou par instants, enfourné sous l'ice-field, il le divisait par un simple mouvement de tangage qui produisait de larges déchirures.

Pendant ces journées, de violents grains nous assaillirent. Par certaines brumes épaisses, on ne se fût pas vu d'une extrémité de la plate-forme à l'autre. Le vent sautait brusquement à tous les points du compas. La neige s'accumulait en couches si dures qu'il fallait la briser à coups de pic. Rien qu'à la température de cinq degrés au-dessous de zéro, toutes les parties extérieures du Nautilus se recouvraient de glaces. Un gréement n'aurait pu se manoeuvrer, car tous les garants eussent été engagés dans la gorge des poulies. Un bâtiment sans voiles et mû par un moteur électrique qui se passait de charbon, pouvait seul affronter d'aussi hautes latitudes.

Dans ces conditions, le baromètre se tint généralement très bas. Il tomba même à 73°5'. Les indications de la boussole n'offraient plus aucune garantie. Ses aiguilles affolées marquaient des directions contradictoires, en s'approchant du pôle magnétique méridional qui ne se confond pas avec le sud du monde. En effet, suivant Hansten, ce pôle est situé à peu près par 70° de latitude et 130° de longitude, et d'après les observations de Duperrey, par 135° de longitude et 70°30' de latitude. Il fallait faire alors des observations nombreuses sur les compas transportés à différentes parties du navire et prendre une moyenne. Mais souvent, on s'en rapportait à l'estime pour relever la route parcourue, méthode peu satisfaisante au milieu de ces passes sinueuses dont les points de repère changent incessamment.

Enfin, le 18 mars, après vingt assauts inutiles, le Nautilus se vit définitivement enrayé. Ce n'étaient plus ni les streams, ni les palks, ni les ice-fields, mais une interminable et immobile barrière formée de montagnes soudées entre elles.

« La banquise ! » me dit le Canadien.

Je compris que pour Ned Land comme pour tous les navigateurs qui nous avaient précédé, c'était l'infranchissable obstacle. Le soleil ayant un instant paru vers midi, le capitaine Nemo obtint une observation assez exacte qui donnait notre situation par 51°30' de longitude et 67°39' de latitude méridionale. C'était déjà un point avancé des régions antarctiques.

De mer, de surface liquide, il n'y avait plus apparence devant nos yeux. Sous l'éperon du Nautilus s'étendait une vaste plaine tourmentée, enchevêtrée de blocs confus, avec tout ce pêle-mêle capricieux qui caractérise la surface d'un fleuve quelque temps avant la débâcle des glaces, mais sur des proportions gigantesques. Çà et là, des pics aigus, des aiguilles déliées s'élevant à une hauteur de deux cents pieds; plus loin, une suite de falaises taillées à pic et revêtues de teintes grisâtres, vastes miroirs qui reflétaient quelques rayons de soleil à demi noyés dans les brumes. Puis, sur cette nature désolée, un silence farouche, à peine rompu par le battement d'ailes des pétrels ou des puffins. Tout était gelé alors, même le bruit.

Le Nautilus dut donc s'arrêter dans son aventureuse course au milieu des champs de glace.

« Monsieur, me dit ce jour-là Ned Land, si votre capitaine va plus loin !

— Eh bien ?

— Ce sera un maître homme.

— Pourquoi, Ned ?

— Parce que personne ne peut franchir la banquise. Il est puissant, votre capitaine; mais, mille diables ! il n'est pas plus puissant que la nature, et là où elle a mis des bornes, il faut que l'on s'arrête bon gré mal gré.

— En effet, Ned Land, et cependant j'aurais voulu savoir ce qu'il y a derrière cette banquise ! Un mur, voilà ce qui m'irrite le plus !

— Monsieur a raison, dit Conseil. Les murs n'ont été inventés que pour agacer les savants. Il ne devrait y avoir de murs nulle part.

— Bon ! fit le Canadien. Derrière cette banquise, on sait bien ce qui se trouve.

— Quoi donc ? demandai-je.

— De la glace, et toujours de la glace !

— Vous êtes certain de ce fait, Ned, répliquai-je, mais moi je ne le suis pas. Voilà pourquoi je voudrais aller voir.

— Eh bien, monsieur le professeur, répondit le Canadien, renoncez à cette idée. Vous êtes arrivé à la banquise, ce qui est déjà suffisant, et vous n'irez pas plus loin, ni votre capitaine Nemo, ni son Nautilus. Et qu'il le veuille ou non, nous reviendrons vers le nord, c'est-à-dire au pays des honnêtes gens. »

Je dois convenir que Ned Land avait raison, et tant que les navires ne seront pas faits pour naviguer sur les champs de glace, ils devront s'arrêter devant la banquise.

En effet, malgré ses efforts, malgré les moyens puissants employés pour disjoindre les glaces, le Nautilus fut réduit à l'immobilité. Ordinairement, qui ne peut aller plus loin en est quitte pour revenir sur ses pas. Mais ici, revenir était aussi impossible qu'avancer, car les passes s'étaient refermées derrière nous, et pour peu que notre appareil demeurât stationnaire, il ne tarderait pas à être bloqué. Ce fut même ce qui arriva vers deux heures du soir, et la jeune glace se forma sur ses flancs avec une étonnante rapidité. Je dus avouer que la conduite du capitaine Nemo était plus qu'imprudente.

J'étais en ce moment sur la plate-forme. Le capitaine qui observait la situation depuis quelques instants, me dit :

« Eh bien, monsieur le professeur, qu'en pensez-vous ?

— Je pense que nous sommes pris, capitaine.

— Pris ! Et comment l'entendez-vous ?

— J'entends que nous ne pouvons aller ni en avant ni en arrière, ni d'aucun côté. C'est, je crois, ce qui s'appelle « pris », du moins sur les continents habités.

— Ainsi, monsieur Aronnax, vous pensez que le Nautilus ne pourra pas se dégager ?

— Difficilement, capitaine, car la saison est déjà trop avancée pour que vous comptiez sur une débâcle des glaces.

— Ah ! monsieur le professeur, répondit le capitaine Nemo d'un ton ironique, vous serez toujours le même ! Vous ne voyez qu'empêchements et obstacles ! Moi, je vous affirme que non seulement le Nautilus se dégagera, mais qu'il ira plus loin encore !

— Plus loin au sud ? demandai-je en regardant le capitaine.

— Oui, monsieur, il ira au pôle.

— Au pôle ! m'écriai-je, ne pouvant retenir un mouvement d'incrédulité.

— Oui, répondit froidement le capitaine, au pôle antarctique, à ce point inconnu où se croisent tous

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