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Book online «Vingt Mille Lieues Sous Les Mers — Part 1, Jules Verne [e ink ebook reader .TXT] 📗». Author Jules Verne



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dans une natte en feuilles de bananiers, dentelée sur ses bords et relevée d'éclatantes couleurs.

J'aurais pu facilement abattre cet indigène, qui se trouvait à petite portée ; mais je crus qu'il valait mieux attendre des démonstrations véritablement hostiles. Entre Européens et sauvages, il convient que les Européens ripostent et n'attaquent pas.

Pendant tout le temps de la marée basse, ces indigènes rôdèrent près du Nautilus, mais ils ne se montrèrent pas bruyants. Je les entendais répéter fréquemment le mot « assai », et à leurs gestes je compris qu'ils m'invitaient à aller à terre, invitation que je crus devoir décliner.

Donc, ce jour-là, le canot ne quitta pas le bord, au grand déplaisir de maître Land qui ne put compléter ses provisions. Cet adroit Canadien employa son temps à préparer les viandes et farines qu'il avait rapportées de l'île Gueboroar. Quant aux sauvages, ils regagnèrent la terre vers onze heures du matin, dès que les têtes de corail commencèrent à disparaître sous le flot de la marée montante. Mais je vis leur nombre s'accroître considérablement sur la plage. Il était probable qu'ils venaient des îles voisines ou de la Papouasie proprement dite. Cependant, je n'avais pas aperçu une seule pirogue indigène.

N'ayant rien de mieux à faire, je songeai à draguer ces belles eaux limpides, qui laissaient voir à profusion des coquilles, des zoophytes et des plantes pélagiennes. C'était, d'ailleurs, la dernière journée que le Nautilus allait passer dans ces parages, si, toutefois, il flottait à la pleine mer du lendemain, suivant la promesse du capitaine Nemo.

J'appelai donc Conseil qui m'apporta une petite drague le gère, à peu près semblable à celles qui servent à pêcher les huîtres.

« Et ces sauvages ? me demanda Conseil. N'en déplaise à monsieur, ils ne me semblent pas très méchants !

— Ce sont pourtant des anthropophages, mon garçon.

— On peut être anthropophage et brave homme, répondit Conseil, comme on peut être gourmand et honnête. L'un n'exclut pas l'autre.

— Bon ! Conseil, je t'accorde que ce sont d'honnêtes anthropophages, et qu'ils dévorent honnêtement leurs prisonniers. Cependant, comme je ne tiens pas à être dévoré, même honnêtement, je me tiendrai sur mes gardes, car le commandant du Nautilus ne paraît prendre aucune précaution. Et maintenant à l'ouvrage. »

Pendant deux heures, notre pêche fut activement conduite, mais sans rapporter aucune rareté. La drague s'emplissait d'oreilles de Midas, de harpes, de mélanies, et particulièrement des plus beaux marteaux que j'eusse vu jusqu'à ce jour. Nous prîmes aussi quelques holoturies, des huîtres perlières, et une douzaine de petites tortues qui furent réservées pour l'office du bord.

Mais, au moment où je m'y attendais le moins, je mis la main sur une merveille, je devrais dire sur une difformité naturelle, très rare à rencontrer. Conseil venait de donner un coup de drague, et son appareil remontait chargé de diverses coquilles assez ordinaires, quand, tout d'un coup, il me vit plonger rapidement le bras dans le filet, en retirer un coquillage, et pousser un cri de conchyliologue, c'est-à-dire le cri le plus perçant que puisse produire un gosier humain.

« Eh ! qu'a donc monsieur ? demanda Conseil, très surpris. Monsieur a-t-il été mordu ?

— Non, mon garçon, et cependant, j'eusse volontiers payé d'un doigt ma découverte !

— Quelle découverte ?

— Cette coquille, dis-je en montrant l'objet de mon triomphe.

— Mais c'est tout simplement une olive porphyre, genre olive, ordre des pectinibranches, classe des gastéropodes, embranchement des mollusques...

— Oui, Conseil, mais au lieu d'être enroulée de droite à gauche, cette olive tourne de gauche à droite !

— Est-il possible ! s'écria Conseil.

— Oui, mon garçon, c'est une coquille sénestre !

— Une coquille sénestre ! répétait Conseil, le coeur palpitant.

— Regarde sa spire !

— Ah ! monsieur peut m'en croire, dit Conseil en prenant la précieuse coquille d'une main tremblante, mais je n'ai jamais éprouvé une émotion pareille ! »

Et il y avait de quoi être ému ! On sait, en effet, comme l'ont fait observer les naturalistes, que la dextrosité est une loi de nature. Les astres et leurs satellites, dans leur mouvement de translation et de rotation, se meuvent de droite à gauche. L'homme se sert plus souvent de sa main droite que de sa main gauche, et, conséquemment, ses instruments et ses appareils, escaliers, serrures, ressorts de montres, etc., sont combinés de manière a être employés de droite à gauche. Or, la nature a généralement suivi cette loi pour l'enroulement de ses coquilles. Elles sont toutes dextres, à de rares exceptions, et quand, par hasard, leur spire est sénestre, les amateurs les payent au poids de l'or.

Conseil et moi, nous étions donc plongés dans la contemplation de notre trésor, et je me promettais bien d'en enrichir le Muséum, quand une pierre, malencontreusement lancée par un indigène, vint briser le précieux objet dans la main de Conseil.

Je poussai un cri de désespoir ! Conseil se jeta sur mon fusil, et visa un sauvage qui balançait sa fronde à dix mètres de lui. Je voulus l'arrêter, mais son coup partit et brisa le bracelet d'amulettes qui pendait au bras de l'indigène.

« Conseil, m'écriai-je, Conseil !

— Eh quoi ! Monsieur ne voit-il pas que ce cannibale a commencé l'attaque ?

— Une coquille ne vaut pas la vie d'un homme ! lui dis-je.

— Ah ! le gueux ! s'écria Conseil, j'aurais mieux aimé qu'il m'eût cassé l'épaule ! »

Conseil était sincère, mais je ne fus pas de son avis. Cependant, la situation avait changé depuis quelques instants, et nous ne nous en étions pas aperçus. Une vingtaine de pirogues entouraient alors le Naulilus. Ces pirogues, creusées dans des troncs d'arbre, longues, étroites, bien combinées pour la marche, s'équilibraient au moyen d'un double balancier en bambous qui flottait à la surface de l'eau. Elles étaient manoeuvrées par d'adroits pagayeurs à demi nus, et je ne les vis pas s'avancer sans inquiétude.

C'était évident que ces Papouas avaient eu déjà des relations avec les Européens, et qu'ils connaissaient leurs navires. Mais ce long cylindre de fer allongé dans la baie, sans mâts, sans cheminée, que devaient-ils en penser ? Rien de bon, car ils s'en étaient d'abord tenus à distance respectueuse. Cependant. Le voyant immobile, ils reprenaient peu à peu confiance, et cherchaient à se familiariser avec lui. Or, c'était précisément cette familiarité qu'il fallait empêcher. Nos armes, auxquelles la détonation manquait, ne pouvaient produire qu'un effet médiocre sur ces indigènes, qui n'ont de respect que pour les engins bruyants. La foudre, sans les roulements du tonnerre, effraierait peu les hommes, bien que le danger soit dans l'éclair, non dans le bruit.

En ce moment, les pirogues s'approchèrent plus près du Nautilus, et une nuée de flèches s'abattit sur lui.

« Diable ! il grêle ! dit Conseil, et peut-être une grêle empoisonnée !

— Il faut prévenir le capitaine Nemo », dis-je en rentrant par le panneau.

Je descendis au salon. Je n'y trouvai personne. Je me hasardai à frapper à la porte qui s'ouvrait sur la chambre du capitaine.

Un « entrez » me répondit. J'entrai, et je trouvai le capitaine Nemo plongé dans un calcul où les x et autres signes algébriques ne manquaient pas.

« Je vous dérange ? dis-je par politesse.

— En effet, monsieur Aronnax, me répondit le capitaine, mais je pense que vous avez eu des raisons sérieuses de me voir ?

— Très sérieuses. Les pirogues des naturels nous entourent, et, dans quelques minutes, nous serons certainement assaillis par plusieurs centaines de sauvages.

— Ah ! fit tranquillement le capitaine Nemo, ils sont venus avec leurs pirogues ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien, monsieur, il suffit de fermer les panneaux.

— Précisément, et je venais vous dire...

— Rien n'est plus facile », dit le capitaine Nemo.

Et, pressant un bouton électrique, il transmit un ordre au poste de l'équipage.

« Voilà qui est fait, monsieur, me dit-il, après quelques instants. Le canot est en place, et les panneaux sont fermés. Vous ne craignez pas, j'imagine, que ces messieurs défoncent des murailles que les boulets de votre frégate n'ont pu entamer ?

— Non, capitaine, mais il existe encore un danger.

— Lequel, monsieur ?

— C'est que demain, à pareille heure, il faudra rouvrir les panneaux pour renouveler l'air du Nautilus...

— Sans contredit, monsieur, puisque notre bâtiment respire à la manière des cétacés.

— Or, si à ce moment, les Papouas occupent la plate-forme, je ne vois pas comment vous pourrez les empêcher d'entrer.

— Alors, monsieur, vous supposez qu'ils monteront à bord ?

— J'en suis certain.

— Eh bien, monsieur, qu'ils montent. Je ne vois aucune raison pour les en empêcher. Au fond, ce sont de pauvres diables, ces Papouas, et je ne veux pas que ma visite à l'île Gueboroar coûte la vie à un seul de ces malheureux ! »

Cela dit, j'allais me retirer ; mais le capitaine Nemo me retint et m'invita à m'asseoir près de lui. Il me questionna avec intérêt sur nos excursions à terre, sur nos chasses, et n'eut pas l'air de comprendre ce besoin de viande qui passionnait le Canadien. Puis, la conversation effleura divers sujets, et, sans être plus communicatif, le capitaine Nemo se montra plus aimable.

Entre autres choses, nous en vînmes à parler de la situation du Nautilus, précisément échoué dans ce détroit, où Dumont d'Urville fut sur le point de se perdre. Puis à ce propos :

« Ce fut un de vos grands marins, me dit le capitaine, un de vos plus intelligents navigateurs que ce d'Urville ! C'est votre capitaine Cook, à vous autres, Français. Infortuné savant ! Avoir bravé les banquises du pôle Sud, les coraux de l'Océanie, les cannibales du Pacifique, pour périr misérablement dans un train de chemin de fer ! Si cet homme énergique a pu réfléchir pendant les dernières secondes de son existence, vous figurez-vous quelles ont dû être ses suprêmes pensées ! »

En parlant ainsi, le capitaine Nemo semblait ému, et je porte cette émotion à son actif.

Puis, la carte à la main, nous revîmes les travaux du navigateur français, ses voyages de circumnavigation, sa double tentative au pôle Sud qui amena la découverte des terres Adélie et Louis-Philippe, enfin ses levés hydrographiques des principales îles de l'Océanie.

« Ce que votre d'Urville a fait à la surface des mers, me dit le capitaine Nemo, je l'ai fait à l'intérieur de l'Océan, et plus facilement, plus complètement que lui. L'Astrolabe et la Zélée, incessamment ballottées par les ouragans, ne pouvaient valoir le Nautilus, tranquille cabinet de travail, et véritablement sédentaire au milieu des eaux !

— Cependant, capitaine, dis-je, il y a un point de ressemblance entre les corvettes de Dumont d'Urville et le Nautilus.

— Lequel, monsieur ?

— C'est que le Nautilus s'est échoué comme elles !

— Le Nautilus ne s'est pas échoué, monsieur, me répondit froidement le capitaine Nemo. Le Nautilus est fait pour reposer sur le lit des mers, et les pénibles travaux, les manoeuvres qu'imposa à d'Urville le renflouage de ses corvettes, je ne les entreprendrai pas. L'Astrolabe et la Zélée ont failli périr, mais mon Nautilus ne court aucun danger. Demain, au jour dit, à l'heure dite, la marée le soulèvera paisiblement, et il reprendra sa navigation à travers les mers.

— Capitaine, dis-je, je ne doute pas....

— Demain, ajouta le capitaine Nemo en se levant, demain, à deux heures quarante minutes du soir, le Nautilus flottera et quittera sans avarie le détroit de Torrès. »

Ces paroles prononcées d'un ton très bref, le capitaine Nemo s'inclina légèrement. C'était me donner congé, et je rentrai dans ma chambre.

Là, je trouvai Conseil, qui désirait connaître le résultat de mon entrevue avec le capitaine.

« Mon garçon, répondis-je, lorsque j'ai eu l'air de croire que son Nautilus était menace par les naturels de la Papouasie, le capitaine m'a répondu très ironiquement. Je n'ai donc qu'une chose à dire : Aie confiance en lui, et va dormir en paix.

— Monsieur n'a pas besoin de mes services ?

— Non, mon ami. Que fait Ned Land ?

— Que monsieur m'excuse, répondit Conseil, mais l'ami Ned confectionne un pâté de kangaroo qui sera une merveille ! »

Je restai seul, je me couchai, mais je dormis assez mal. J'entendais le bruit des sauvages qui piétinaient sur la plate-forme en poussant des cris assourdissants. La nuit se passa ainsi, et sans que l'équipage sortît de son inertie habituelle. Il ne s'inquiétait pas plus de la présence de ces cannibales que les soldats d'un fort blindé ne se préoccupent des fourmis qui courent sur son blindage.

A six heures du matin, je me levai... Les panneaux n'avaient pas été ouverts. L'air ne fut donc pas renouvelé à l'intérieur, mais les réservoirs, chargés à toute occurrence, fonctionnèrent à

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