Autour de la Lune, Jules Verne [ebook reader for comics txt] 📗
- Author: Jules Verne
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Quelle fut donc leur joie, quand, apr�s quelques jours d'attente, dans la nuit du 5 d�cembre, ils aper�urent le v�hicule qui emportait leurs amis dans l'espace! A cette joie succ�da une d�ception profonde, lorsque, se fiant � des observations incompl�tes, ils lanc�rent, avec leur premier t�l�gramme � travers le monde, cette affirmation erron�e qui faisait du projectile un satellite de la Lune gravitant dans un orbe immutable.
Depuis cet instant, le boulet ne s'�tait plus montr� � leurs yeux, disparition d'autant plus explicable, qu'il passait alors derri�re le disque invisible de la Lune. Mais quand il dut r�appara�tre sur le disque visible, que l'on juge alors de l'impatience du bouillant J.-T. Maston et de son compagnon, non moins impatient que lui! A chaque minute de la nuit, ils croyaient revoir le projectile, et ils ne la revoyaient pas! De l�, entre eux, des discussions incessantes, de violentes disputes. Belfast affirmant que le projectile n'�tait pas apparent, J.-T. Maston soutenant qu'il �lui crevait les yeux!�.
�C'est le boulet! r�p�tait J.-T. Maston.
—Non! r�pondait Belfast. C'est une avalanche qui se d�tache d'une montagne lunaire!
—Eh bien, on le verra demain.
—Non! on ne le verra plus! Il est entra�n� dans l'espace.
—Si!
—Non!�
Et dans ces moments o� les interjections pleuvaient comme gr�le, l'irritabilit� bien connue du secr�taire du Gun-Club constituait un danger permanent pour l'honorable Belfast.
Cette existence � deux serait bient�t devenue impossible; mais un �v�nement inattendu coupa court � ces �ternelles discussions.
Pendant la nuit du 14 au 15 d�cembre, les deux irr�conciliables amis �taient occup�s � observer le disque lunaire. J.-T. Maston injuriait, suivant sa coutume, le savant Belfast, qui se montait de son c�t�. Le secr�taire du Gun-Club soutenait pour la milli�me fois qu'il venait d'apercevoir le projectile, ajoutant m�me que la face de Michel Ardan s'�tait montr�e � travers un des hublots. Il appuyait encore son argumentation par une s�rie de gestes que son redoutable crochet rendait fort inqui�tants.
En ce moment, le domestique de Belfast apparut sur la plate-forme—il �tait dix heures du soir—, et il lui remit une d�p�che. C'�tait le t�l�gramme du commandant de la Susquehanna .
Belfast d�chira l'enveloppe, lut, et poussa un cri.
�Hein! fit J.-T. Maston.
—Le boulet!
—Eh bien?
—Il est retomb� sur la Terre!�
Un nouveau cri, un hurlement cette fois, lui r�pondit.
Il se tourna vers J.-T. Maston. L'infortun�, imprudemment pench� sur le tube de m�tal, avait disparu dans l'immense t�lescope! Une chute de deux cent quatre-vingts pieds! Belfast, �perdu, se pr�cipita vers l'orifice du r�flecteur.
Il respira, J.-T. Maston, retenu par son crochet de m�tal, se tenait � l'un des �tr�sillons qui maintenaient l'�cartement du t�lescope. Il poussait des cris formidables.
Belfast appela. Ses aides accoururent. Des palans furent install�s, et on hissa, non sans peine, l'imprudent secr�taire du Gun-Club.
Il reparut sans accident � l'orifice sup�rieur.
�Hein! dit-il, si j'avais cass� le miroir!
—Vous l'auriez pay�, r�pondit s�v�rement Belfast.
—Et ce damn� boulet est tomb�?� demanda J.-T. Maston.
—Dans le Pacifique!
—Partons.�
Un quart d'heure apr�s, les deux savants descendaient la pente des montagnes Rocheuses, et deux jours apr�s, en m�me temps que leurs amis du Gun-Club, ils arrivaient � San Francisco, ayant crev� cinq chevaux sur leur route.
Elphiston, Blomsberry fr�re, Bilsby, s'�taient pr�cipit�s vers eux � leur arriv�e.
�Que faire? s'�cri�rent-ils.
—Rep�cher le boulet, r�pondit J.-T. Maston, et le plus t�t possible!�
XXIILe sauvetage
L'endroit m�me o� le projectile s'�tait ab�m� sous les flots �tait connu exactement. Les instruments pour le saisir et le ramener � la surface de l'Oc�an manquaient encore. Il fallait les inventer, puis les fabriquer. Les ing�nieurs am�ricains ne pouvaient �tre embarrass�s de si peu. Les grappins une fois �tablis et la vapeur aidant, ils �taient assur�s de relever le projectile, malgr� son poids, que diminuait d'ailleurs la densit� du liquide au milieu duquel il �tait plong�.
Mais rep�cher le boulet ne suffisait pas. Il fallait agir promptement dans l'int�r�t des voyageurs. Personne ne mettait en doute qu'ils ne fussent encore vivants.
�Oui! r�p�tait incessamment J.-T. Maston, dont la confiance gagnait tout le monde, ce sont des gens adroits que nos amis, et ils ne peuvent �tre tomb�s comme des imb�ciles. Ils sont vivants, bien vivants, mais il faut se h�ter pour les retrouver tels. Les vivres, l'eau, ce n'est pas ce qui m'inqui�te! Ils en ont pour longtemps! Mais l'air, l'air! Voil� ce qui leur manquera bient�t. Donc vite, vite!�
Et l'on allait vite. On appropriait la Susquehanna pour sa nouvelle destination. Ses puissantes machines furent dispos�es pour �tre mises sur les cha�nes de halage. Le projectile en aluminium ne pesait que dix-neuf mille deux cent cinquante livres, poids bien inf�rieur � celui du c�ble transatlantique qui fut relev� dans des conditions pareilles. La seule difficult� �tait donc de rep�cher un boulet cylindro-conique que ses parois lisses rendaient difficile � crocher.
Dans ce but, l'ing�nieur Murchison, accouru � San Francisco, fit �tablir d'�normes grappins d'un syst�me automatique qui ne devaient plus l�cher le projectile, s'ils parvenaient � le saisir dans leurs pinces puissantes. Il fit aussi pr�parer des scaphandres qui, sous leur enveloppe imperm�able et r�sistante, permettaient aux plongeurs de reconna�tre le fond de la mer. Il embarqua �galement � bord de la Susquehanna des appareils � air comprim�, tr�s ing�nieusement imagin�s. C'�taient de v�ritables chambres, perc�es de hublots, et que l'eau, introduite dans certains compartiments, pouvait entra�ner � de grandes profondeurs. Ces appareils existaient � San Francisco, o� ils avaient servi � la construction d'une digue sous-marine. Et c'�tait fort heureux, car le temps e�t manqu� pour les construire.
Cependant, malgr� la perfection de ces appareils, malgr� l'ing�niosit� des savants charg�s de les employer, le succ�s de l'op�ration n'�tait rien moins qu'assur�. Que de chances incertaines, puisqu'il s'agissait de reprendre ce projectile � vingt mille pieds sous les eaux! Puis, lors m�me que le boulet serait ramen� � la surface, comment ses voyageurs auraient-ils support� ce choc terrible que vingt mille pieds d'eau n'avaient peut-�tre pas suffisamment amorti?
Enfin, il fallait agir au plus vite. J.-T. Maston pressait jour et nuit ses ouvriers. Il �tait pr�t, lui, soit � endosser le scaphandre, soit � essayer les appareils � air, pour reconna�tre la situation de ses courageux amis.
Cependant, malgr� toute la diligence d�ploy�e pour la confection des divers engins, malgr� les sommes consid�rables qui furent mises � la disposition du Gun-Club par le gouvernement de l'Union, cinq longs jours, cinq si�cles! s'�coul�rent avant que ces pr�paratifs fussent termin�s. Pendant ce temps, l'opinion publique �tait surexcit�e au plus haut point. Des t�l�grammes s'�changeaient incessamment dans le monde entier par les fils et les c�bles �lectriques. Le sauvetage de Barbicane, de Nicholl et de Michel Ardan �tait une affaire internationale. Tous les peuples qui avaient souscrit � l'emprunt du Gun-Club s'int�ressaient directement au salut des voyageurs.
Enfin, les cha�nes de halage, les chambres � air, les grappins automatiques furent embarqu�s � bord de la Susquehanna . J.-T. Maston, l'ing�nieur Murchison, les d�l�gu�s du Gun-Club occupaient d�j� leur cabine. Il n'y avait plus qu'� partir.
Le 21 d�cembre, � huit heures du soir, la corvette appareilla par une belle mer, une brise de nord-est et un froid assez vif. Toute la population de San Francisco se pressait sur les quais, �mue, muette cependant, r�servant ses hurrahs pour le retour.
La vapeur fut pouss�e � son maximum de tension, et l'h�lice de la Susquehanna l'entra�na rapidement hors de la baie.
Inutile de raconter les conversations du bord entre les officiers, les matelots, les passagers. Tous ces hommes n'avaient qu'une seule pens�e. Tous ces cœurs palpitaient sous la m�me �motion. Pendant que l'on courait � leur secours, que faisaient Barbicane et ses compagnons? Que devenaient-ils? �taient-ils en �tat de tenter quelque audacieuse manœuvre pour conqu�rir leur libert�? Nul n'e�t pu le dire. La v�rit� est que tout moyen e�t �chou�! Immerg� � pr�s de deux lieues sous l'Oc�an, cette prison de m�tal d�fiait les efforts de ses prisonniers.
Le 23 d�cembre, � huit heures du matin, apr�s une travers�e rapide, la Susquehanna devait �tre arriv�e sur le lieu du sinistre. Il fallut attendre midi pour obtenir un rel�vement exact. La bou�e sur laquelle �tait frapp�e la ligne de sonde n'avait pas encore �t� reconnue.
A midi, le capitaine Blomsberry, aid� de ses officiers qui contr�laient l'observation, fit son point en pr�sence des d�l�gu�s du Gun-Club. Il y eut alors un moment d'anxi�t�. Sa position d�termin�e, la Susquehanna se trouvait dans l'ouest, � quelques minutes de l'endroit m�me o� le projectile avait disparu sous les flots.
La direction de la corvette fut donc donn�e de mani�re � gagner ce point pr�cis.
A midi quarante-sept minutes, on eut connaissance de la bou�e. Elle �tait en parfait �tat et devait avoir peu d�riv�.
�Enfin! s'�cria J.-T. Maston.
—Nous allons commencer? demanda le capitaine Blomsberry.
—Sans perdre une seconde�, r�pondit J.-T. Maston.
Toutes les pr�cautions furent prises pour maintenir la corvette dans une immobilit� compl�te.
Avant de chercher � saisir le projectile, l'ing�nieur Murchison voulut d'abord reconna�tre sa position sur le fond oc�anique. Les appareils sous-marins, destin�s � cette recherche, re�urent leur approvisionnement d'air. Le maniement de ces engins n'est pas sans danger, car, � vingt mille pieds au-dessous de la surface des eaux et sous des pressions aussi consid�rables, ils sont expos�s � des ruptures dont les cons�quences seraient terribles.
J.-T. Maston, Blomsberry fr�re, l'ing�nieur Murchison, sans se soucier de ces dangers, prirent place dans les chambres � air. Le commandant plac� sur sa passerelle, pr�sidait � l'op�ration, pr�t � stopper ou � haler ses cha�nes au moindre signal. L'h�lice avait �t� d�sembray�e, et toute la force des machines port�e sur le cabestan eut rapidement ramen� les appareils � bord.
La descente commen�a � une heure vingt-cinq minutes du soir, et la chambre, entra�n�e par ses r�servoirs remplis d'eau, disparut sous la surface de l'Oc�an.
L'�motion des officiers et des matelots du bord se partageait maintenant entre les prisonniers du projectile et les prisonniers de l'appareil sous-marin. Quant � ceux-ci, ils s'oubliaient eux-m�mes, et, coll�s aux vitres des hublots, ils observaient attentivement ces masses liquides qu'ils traversaient.
La descente fut rapide. A deux heures dix-sept minutes, J.-T. Maston et ses compagnons avaient atteint le fond du Pacifique. Mais ils ne virent rien, si ce n'est cet aride d�sert que ni la faune ni la flore marine n'animaient plus. A la lumi�re de leurs lampes munies de r�flecteurs puissants, ils pouvaient observer les sombres couches de l'eau dans un rayon assez �tendu, mais le projectile restait invisible � leurs yeux.
L'impatience de ces hardis plongeurs ne saurait se d�crire. Leur appareil �tant en communication �lectrique avec la corvette, ils firent un signal convenu, et la Susquehanna promena sur l'espace d'un mille leur chambre suspendue � quelques m�tres au-dessus du sol.
Ils explor�rent ainsi toute la plaine sous-marine, tromp�s � chaque instant par des illusions d'optique qui leur brisaient le cœur. Ici un rocher, l� une extumescence du fond, leur apparaissaient comme le projectile tant cherch�; puis, ils reconnaissaient bient�t leur erreur et se d�sesp�raient.
�Mais o� sont-ils? o� sont-ils?� s'�criait J.-T. Maston.
Et le pauvre homme appelait � grands cris Nicholl, Barbicane, Michel Ardan, comme si ses infortun�s amis eussent pu l'entendre ou lui r�pondre � travers cet imp�n�trable milieu!
La recherche continua dans ces conditions, jusqu'au moment o� l'air vici� de l'appareil obligea les plongeurs � remonter.
Le halage commen�a vers six heures du soir, et ne fut pas termin� avant minuit.
�A demain, dit J.-T. Maston, en prenant pied sur le pont de la corvette.
—Oui, r�pondit le capitaine Blomsberry.
—Et � une autre place.
—Oui.�
J.-T. Maston ne doutait pas encore du succ�s, mais d�j� ses compagnons, que ne grisait plus l'animation des premi�res heures, comprenaient toute la difficult� de l'entreprise. Ce qui semblait facile � San Francisco, paraissait ici, en plein Oc�an, presque irr�alisable. Les chances de r�ussite diminuaient dans une grande proportion, et c'est au hasard seul qu'il fallait demander la rencontre du projectile.
Le lendemain, 24 d�cembre, malgr� les fatigues de la veille, l'op�ration fut reprise. La corvette se d�pla�a de quelques minutes dans l'ouest, et l'appareil, pourvu d'air, entra�na de nouveau les m�mes explorateurs dans les profondeurs de l'Oc�an.
Toute la journ�e se passa en infructueuses recherches. Le lit de la mer �tait d�sert. La journ�e du 25 n'amena aucun r�sultat. Aucun, celle du 26.
C'�tait d�sesp�rant. On songeait � ces malheureux enferm�s dans le boulet depuis vingt-six jours! Peut-�tre, en ce moment, sentaient-ils les premi�res atteintes de l'asphyxie, si toutefois ils avaient �chapp� aux dangers de leur chute! L'air s'�puisait, et, sans doute, avec l'air, le courage, le moral!
�L'air, c'est possible, r�pondait invariablement J.-T. Maston, mais le moral, jamais.�
Le 28, apr�s deux autres jours de recherches, tout espoir �tait perdu. Ce boulet, c'�tait un atome dans l'immensit� de la mer! Il fallait renoncer � le retrouver.
Cependant, J.-T. Maston ne voulait pas entendre parler de d�part. Il ne voulait pas abandonner la place sans avoir au moins reconnu le tombeau de ses amis. Mais le commandant Blomsberry ne pouvait s'obstiner davantage, et, malgr� les r�clamations du digne secr�taire, il dut donner l'ordre d'appareiller.
Le 29 d�cembre, � neuf heures du matin, la Susquehanna , le cap au nord-est, reprit route vers la baie de San Francisco.
Il �tait dix heures du matin. La corvette s'�loignait sous petite vapeur et
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