Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1, C.-A. Sainte-Beuve [ebook reader for surface pro .txt] 📗
- Author: C.-A. Sainte-Beuve
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Effective, Avec Lord Bolingbroke, Alors Réfugié En France: Tantôt
Il Passait Le Temps Chez Elle, À Sa Campagne De Marsilly, Près De
Nogent-Sur-Seine; Tantôt Elle Habitait Chez Lui, À Sa Jolie Retraite
De La Source, Près D'orléans, Où Voltaire Les Visitait. Dans Un Voyage
Qu'elle Fit À Londres Pour Les Intérêts De L'homme Illustre Et Orageux
Dont Elle Avait Su Fixer Le Coeur, Elle Avait Paru Comme Sa Femme Et
Elle En Garda Le Nom, Quoique De Malins Amis Aient Voulu Douter Que Le
Sacrement Ait Jamais Consacré Entre Eux Le Lien. Peu Nous Importe Ici:
Elle Était Bonne, Elle Était Indulgente; Elle Entra Vivement Dans Les
Tourments De La Pauvre Aïssé Et N'épargna Rien Pour Pourvoir À Ses
Embarras. Elle Fit Semblant De L'emmener En Angleterre Vers La Fin De
Mai 1724: Pendant Ce Temps, Bolingbroke, Resté En France, Écrivait De La
Source À Mme De Ferriol, Pour Mieux Déjouer Tous Soupçons (2 Juin 1724):
«Avez-Vous Eu Des Nouvelles D'aïssé? La Marquise (Mme De Villette)
M'écrit De Douvres: Elle Y Est Arrivée Vendredi Au Soir, Après Le
Passage Du Monde Le Plus Favorable. La Mer Ne Lui A Causé Qu'un Peu De
Tourment De Tête; Mais Pour Sa Compagne De Voyage, Elle A Rendu Son
Dîner Aux Poissons.»
[Note 85: Philippe Le Valois, Marquis De Villette, Chef D'escadre,
Dont M. De Monmerqué Vient De Publier Les Mémoires (1844).]
On Conjecture Que Ce Fut À Cette Époque Même Qu'aïssé, Retirée Dans Un
Faubourg De Paris, Entourée Des Soins Du Chevalier Et Assistée De La
Fidèle Sophie, Sa Femme De Chambre, Donna Le Jour À Une Fille, Qui Fut
Baptisée Sous Le Nom De Célénie Leblond. On Retrouve Lady Bolingbroke
De Retour En France Dès Septembre 1724; Probablement Elle Fut Censée
Ramener Sa Compagne; Les Détails Du Stratagème Nous Échappent. Il Est
Certain D'ailleurs Qu'elle Se Chargea D'abord De L'enfant; Elle Put
L'emmener En Angleterre, Où Elle Retournait À La Fin D'octobre, Même
Année; Quelque Temps Après, La Petite Fille Reparut Pour Être Placée Au
Couvent De Notre-Dame À Sens, Sous Le Nom De Miss Black[86] Et À Titre De
Nièce De Lord Bolingbroke. L'abbesse De Ce Couvent Était Une Fille Même
De Mme De Villette, Née Du Premier Mariage. Tout Cela, On Le Voit;
Concorde Et S'explique À Merveille; On A Le Cadre Et Le Canevas Du
Roman; Mais C'est De La Physionomie Des Personnages Et De La Nature Des
Sentiments Qu'il Tire Son Véritable Et Durable Intérêt.
[Note 86: Ce Nom De Fantaisie, _Miss Black_, Semble Avoir Été Donné
Pour Faire Contraste Et Contre-Vérité À Celui De Célénie Leblond.]
Le Chevalier D'aydie, Dans Sa Jeunesse, Offrait Plus D'un De Ces Traits
Qui S'adaptent D'eux-Mêmes À Un Héros De Roman; Voltaire, Écrivant
À Thieriot Et Lui Parlant De Sa Tragédie D'_Adélaïde Du Guesclin_ À
Laquelle Il Travaillait Alors, Disait (24 Février 1733): «C'est Un Sujet
Tout Français Et Tout De Mon Invention, Où J'ai Fourré Le Plus Que J'ai
Pu D'amour, De Jalousie, De Fureur, De Bienséance, De Probité Et De
Grandeur D'âme. J'ai Imaginé Un Sire De Couci, Qui Est Un Très-Digne
Homme, Comme On N'en Voit Guère À La Cour; Un Très-Loyal Chevalier,
Comme Qui Dirait Le Chevalier D'aydie, Ou Le Chevalier De Froulay.» Il
Avait Dans Le Moment À Se Louer Des Bons Offices De Tous Deux Près Du
Garde Des Sceaux; Il Y Revient Dans Une Lettre Du 13 Janvier 1736, À
Thieriot Encore: «Si Vous Revoyez Les Deux Chevaliers Sans Peur Et Sans
Reproche, Joignez, Je Vous En Prie, Votre Reconnaissance À La Mienne. Je
Leur Ai Écrit; Mais Il Me Semble Que Je Ne Leur Ai Pas Dit Assez Avec
Quelle Sensibilité Je Suis Touché De Leurs Bontés, Et Combien Je Suis
Orgueilleux D'avoir Pour Mes Protecteurs Les Deux Plus Vertueux Hommes
Du Royaume.»--La _Correspondance_ De Mme Du Deffand[87] Nous Donne
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 85Également À Connaître Le Chevalier Par Le Dehors Et Tel Qu'il Était Aux
Yeux Du Monde Et Dans L'habitude De L'amitié. Plusieurs Lettres De Lui
Nous Le Font Voir Après La Jeunesse Et Bonnement Retiré En Famille Dans
Sa Province. Nous Donnerons Ici Au Long Son Portrait Tracé Par Mme Du
Deffand; Elle Soupçonnait, Mais Elle Ne Marque Pas Assez Profondément
(Car Le Monde Ne Sait Pas Tout) Ce Qui Était Le Trait Distinctif De Son
Être, La Sensibilité, La Passion Et Surtout La Tendre Fidélité Dont Il
Se Montra Capable: Ce Sera À Mlle Aïssé De Compléter Mme Du Deffand Sur
Ces Points-Là.
Portrait De M. Le Chevalier D'aydie Par Madame La Marquise Du
Deffand[88].
[Note 87: Les Deux Volumes In-8° Publiés En 1809.]
[Note 88: Grâce À Une Copie Manuscrite Qui Provient Des Papiers Mêmes
Du Chevalier, Nous Pouvons Donner Ce Portrait, Un Peu Différent De Ce
Qu'il Est Dans La _Correspondance_ De Mme Du Deffand; On A Fait Subir
À Celui-Ci, Comme Il Arrive Trop Souvent, De Prétendues Petites
Corrections Qui L'ont Écourté.]
«L'esprit De M. Le Chevalier D'aydie Est Chaud, Ferme Et Vigoureux; Tout
En Lui A La Force Et La Vérité Du Sentiment. On Dit De M. De Fontenelle
Qu'à La Place Du Coeur Il A Un Second Cerveau; On Pourrait Croire Que La
Tête Du Chevalier Contient Un Second Coeur. Il Prouve La Vérité De Ce
Que Dit Rousseau, Que C'est Dans Notre Coeur Que Notre Esprit Réside[89].
[Note 89: Dans Le Portrait Tel Qu'il A Été Imprimé En 1809, Cette
Phrase Sur Rousseau Est Supprimée, Et L'on Y A Mis L'observation Sur
Fontenelle Au Passé: On _A_ Dit De M. De Fontenelle Qu'il _Avait_... Il
Résulte, Au Contraire, De Notre Version Plus Exacte Et Plus Complète,
Que Fontenelle Vivait Encore Quand Mme Du Deffand Traçait Ce Portrait.
Quant À Rousseau, Il S'agit Ici De Jean-Baptiste, Qui A Dit Dans Son
Épître À M. De Breteuil:
Votre Coeur Seul Doit Être Votre Guide:
Ce N'est Qu'en Lui Que Notre Esprit Réside.
]
«Jamais Les Idées Du Chevalier Ne Sont Affaiblies, Subtilisées Ni
Refroidies Par Une Vaine Métaphysique. Tout Est Premier Mouvement En
Lui: Il Se Laisse Aller À L'impression Que Lui Font Les Sujets Qu'il
Traite. Souvent Il En Devient Plus Affecté, À Mesure Qu'il Parle;
Souvent Il Est Embarrassé Au Choix Du Mot Le Plus Propre À Rendre Sa
Pensée, Et L'effort Qu'il Fait Alors Donne Plus De Ressort Et D'énergie
À Ses Paroles. Il N'emprunte Les Idées Ni Les Expressions De Personne;
Ce Qu'il Voit, Ce Qu'il Dit, Il Le Voit Et Il Le Dit Pour La Première
Fois. Ses Définitions, Ses Images Sont Justes, Fortes Et Vives; Enfin Le
Chevalier Nous Démontre Que Le Langage Du Sentiment Et De La Passion Est
La Sublime Et Véritable Éloquence.
«Mais Le Coeur N'a Pas La Faculté De Toujours Sentir, Il A Des Temps De
Repos; Alors Le Chevalier Paraît Ne Plus Exister. Enveloppé De Ténèbres,
Ce N'est Plus Le Même Homme, Et L'ont Croirait Que, Gouverné Par Un
Génie, Le Génie Le Reprend Et L'abandonne Suivant Son Caprice[90].
Quoique Le Chevalier Pense Et Agisse Par Sentiment, Ce N'est Peut-Être
Pas Néanmoins L'homme Du Monde Le Plus Passionné Ni Le Plus Tendre; Il
Est Affecté Par Trop De Divers Objets Pour Pouvoir L'être Fortement Par
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 86Aucun En Particulier. Sa Sensibilité Est, Pour Ainsi Dire, Distribuée À
Toutes Les Différentes Facultés De Son Âme, Et Cette Diversion Pourrait
Bien Défendre Son Coeur Et Lui Assurer Une Liberté D'autant Plus Douce
Et D'autant Plus Solide Qu'elle Est Également Éloignée De L'indifférence
Et De La Tendresse. Cependant Il Croit Aimer; Mais Ne S'abuse-T-Il
Point? Il Se Passionne Pour Les Vertus Qui Se Trouvent En Ses Amis; Il
S'échauffe En Parlant De Ce Qu'il Leur Doit, Mais Il Se Sépare D'eux
Sans Peine, Et L'on Serait Tenté De Croire Que Personne N'est Absolument
Nécessaire À Son Bonheur. En Un Mot, Le Chevalier Paraît Plus Sensible
Que Tendre.
[Note 90: L'imprimé De 1809 Donne Ici Une Version Différente Et Qui
Mérite D'être Reproduite, Parce Qu'elle Ne Laisse Pas D'être Heureuse
Et Qu'elle Semble De La Plume Même De L'auteur: «... Alors Le Chevalier
N'est Plus Le Même Homme: Toutes Ses Lumières S'éteignent; Enveloppé De
Ténèbres, S'il Parle, Ce N'est Plus Avec La Même Éloquence; Ses Idées
N'ont Plus La Même Justesse, Ni Ses Expressions La Même Énergie, Elles
Ne Sont Qu'exagérées; On Voit Qu'il Se Recherche Sans Se Trouver:
L'original A Disparu, Il Ne Reste Plus Que La Copie.» Cette Expression:
_Il Se Recherche Sans Se Trouver_, Nous Paraît D'une Trop Bonne Langue
Pour Ne Pas Provenir De Mme Du Deffand.]
«Plus Une Âme Est Libre, Plus Elle Est Aisée À Remuer. Aussi Quiconque
A Du Mérite Peut Attendre Du Chevalier Quelques Moments De Sensibilité.
L'on Jouit Avec Lui Du Plaisir D'apprendre Ce Qu'on Vaut Par
Les Sentiments Qu'il Vous Marque, Et Cette Sorte De Louanges Et
D'approbation Est Bien Plus Flatteuse Que Celle Que L'esprit Seul
Accorde Et Où Le Coeur Ne Prend Point De Part.
«Le Discernement Du Chevalier Est Éclairé Et Fin, Son Goût Très-Juste;
Il Ne Peut Rester Simple Spectateur Des Sottises Et Des Fautes Du Genre
Humain. Tout Ce Qui Blesse La Probité Et La Vérité Devient Sa Querelle
Particulière. Sans Miséricorde Pour Les Vices Et Sans Indulgence Pour
Les Ridicules, Il Est La Terreur Des Méchants Et Des Sots; Ils Croient
Se Venger De Lui En L'accusant De Sévérité Outrée Et De Vertus
Romanesques; Mais L'estime Et L'amour Des Gens D'esprit Et De Mérite Le
Défendent Bien De Pareils Ennemis.
Le Chevalier Est Trop Souvent Affecté Et Remué Pour Que Son Humeur Soit
Égale; Mais Cette Inégalité Est Plutôt Agréable Que Fâcheuse. Chagrin
Sans Être Triste, Misanthrope Sans Être Sauvage, Toujours Vrai Et
Naturel Dans Ses Différents Changements, Il Plaît Par Ses Propres
Défauts, Et L'on Serait Bien Fâché Qu'il Fût Plus Parfait.»
Sans Être Un Bel-Esprit, Comme Cela Devenait De Mode À Cette Date, Le
Chevalier D'aydie Avait De La Lecture Et Du Jugement; Il Savait _Écouter
Et Goûter_; Son Suffrage Était De Ceux Qu'on Ne Négligeait Pas. Lorsque
D'alembert Publia En 1753 Ses Deux Premiers Volumes De _Mélanges_, Mme
Du Deffand Consulta Les Diverses Personnes De Sa Société; Elle Alla,
Pour Ainsi Dire, Aux Voix Dans Son Salon, Et Mit À Part Les Avis Divers
Pour Que L'auteur En Pût Faire Ensuite Son Profit; C'est Sans Doute Ce
Qui A Procuré L'opinion Du Chevalier D'aydie Qu'on Trouve Recueillie
Dans Les Oeuvres De D'alembert[91]. Très-Lié Avec Montesquieu, Il
Écrivait De Lui Avec Une Effusion Dont On Ne Croirait Pas Qu'un Si Grave
Génie Pût Être L'objet, Et Qui De Loin Devient
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