readenglishbook.com » Foreign Language Study » Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1, C.-A. Sainte-Beuve [ebook reader for surface pro .txt] 📗

Book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1, C.-A. Sainte-Beuve [ebook reader for surface pro .txt] 📗». Author C.-A. Sainte-Beuve



1 ... 77 78 79 80 81 82 83 84 85 ... 101
Go to page:
Ce Qui N'était Guère Auparavant Qu'une Audace Et Une

Usurpation. Les Femmes Du Xviiie Siècle Proprement Dit, Dont Le Type

Primitif S'est Transmis Sans Altération Depuis La Duchesse Du Maine,

Et À Travers Ces Noms Si Connus De Mme De Staal-Delaunay, De Mmes De

Lambert, Du Deffand, De La Maréchale De Luxembourg, De Mme Coislin, De

Mme De Créquy, Jusqu'à Mme De Tessé Et À La Princesse De Poix, Peuvent

Pourtant Se Partager Elles-Mêmes En Deux Moitiés Assez Distinctes,

Celles D'avant Jean-Jacques Et Celles D'après. Toutes Les Dernières, Les

Femmes D'après Jean-Jacques, C'est-À-Dire Qui Ont Essuyé Son Influence

Et Se Sont Enflammées Un Jour Pour Lui, Ont Eu Une Veine De _Sentiment_

Que Les Précédentes N'avaient Point Cherchée Ni Connue. Celles-Ci, Les

Femmes Du Xviiie Siècle Antérieures À Rousseau (Et Mme De Staal-Delaunay

En Offre L'image La Plus Accomplie Et La Plus Fidèle), Sont Purement

Des Élèves De La Bruyère; Elles L'ont Lu De Bonne Heure, Elles L'ont

Promptement Vérifié Par L'expérience. A Ce Livre De La Bruyère, Qui

Semble Avoir Donné Son Cachet À Leur Esprit, Ajoutez Encore, Si Vous

Voulez, Qu'elles Ont Lu Dans Leur Jeunesse _La Pluralité Des Mondes_ Et

_La Recherche De La Vérité_.

 

 

Mme De Staal Commence Donc Le Xviie Siècle, Dans La Série Des

Écrivains-Femmes, Aussi Nettement Que Fontenelle L'a Fait Dans Son

Genre. Elle Était Née Bien Plus Tôt Qu'on Ne Croit Et Que Ne L'ont Dit

Tous Les Biographes. Un Érudit À Qui L'on Doit Tant De Rectifications De

Cette Sorte, M. Ravenel, A Éclairci Ce Point, Qui Ne Laisse Pas D'être

Important Dans L'appréciation De La Vie De Mlle Delaunay. Je L'appelle

Mlle Delaunay Par Habitude, Car (Autre Rectification De M. Ravenel) [280]

Elle Ne Se Nommait Pas Ainsi: Son Père S'appelait _Cordier_; Mais, Ayant

Été Obligé De S'expatrier Pour Quelque Cause Qu'on Ne Dit Pas, Il

Laissa En France Sa Femme Jeune Et Belle Qui Reprit Son Nom De Famille

(_Delaunay_), Et La Fille, À Son Tour, Prit Le Nom De Sa Mère Qui Lui

Est Resté. La Jeune Cordier-Delaunay Naquit À Paris Le 30 Août 1684, Et

Non Pas En 1693, Comme On L'a Cru Généralement. Elle Se Trouvait

Ainsi De Neuf Ans Plus Âgée Qu'on Ne L'a Supposé; Non Pas Qu'elle Ait

Dissimulé Son Âge; Elle N'indique Point, Il Est Vrai, Dans Ses Mémoires,

La Date Précise De Sa Naissance (Les Dates, Sous La Plume Des Femmes,

C'est Toujours Peu Élégant); Mais Elle Mentionne Successivement Dans Le

Récit De Sa Jeunesse Certaines Circonstances Historiques Qui Pouvaient

Mettre Sur La Voie. Il Résulte De Ces Neuf Années De Plus Qu'elle A

_Sans Les Paraître_, Que Le Temps Qu'elle Passe Au Couvent Et Avant Son

Entrée À La Petite Cour De Sceaux Remplit Toute La Durée De Sa Première

Jeunesse; Qu'elle A Vingt-Sept Ans Bien Sonnés Lorsqu'elle Entre Chez

La Duchesse Du Maine, Et Qu'elle Est Déjà Une Personne Faite Qui Pourra

Souffrir De Sa Condition Nouvelle, Mais Qui N'y Prendra Aucun Pli Que

Celui De La Contrainte. Il Suit Aussi De Cette Forte Avance Qu'elle

Avait Trente-Cinq Ans Lors De Ses Amours À La Bastille Avec Le Chevalier

De Ménil, Et Qu'elle Ne Se Maria Enfin Avec Le Baron De Staal Que Dans

Sa Cinquante Et Unième Année. De Là, Durant Le Cours De Cette Existence

Dont La Fleur Fut Si Courte Et Si Vite Envolée, On Voit Combien Les

Choses Vinrent Peu À Point, Et L'on Comprend Mieux Dans Ce Ferme Et

Charmant Esprit, Cet Art D'ironie Fine, Ce Ton D'enjouement Sans Gaieté

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 230

Qui Naît De L'habitude Du Contre-Temps.

 

 

Un Mot Souvent Cité De Mme De Staal Donnerait À Croire Que Ses Mémoires

N'ont Pas Toute La Sincérité Possible. _Je Ne Me Suis Peinte Qu'en

Buste_, Répondit-Elle Un Jour À Une Amie Qui S'étonnait À L'idée Qu'elle

Eût Tout Dit. Le Mot A Fait Fortune, Et Il A Fait Tort Aussi À La

Véracité De L'auteur. C'est, Selon Nous, Bien Mal Le Comprendre Et Tirer

Trop De Parti D'un Trait Avant Tout Spirituel. Mme De Staal Était Une

Personne Vraie, Et Son Livre Est Un Livre Vrai Dans Toute L'acception Du

Mot: Ce Caractère Y Paraît Empreint À Chaque Ligne. Après Cela, Que Sur

Certains Points Délicats Et Réservés Elle N'ait Pas Tout Dit: Que, Par

Exemple, Ses Amours À La Bastille Avec Le Chevalier De Menil Aient Été

Poussés Encore Un Peu Plus Loin Qu'elle N'en Convient, Il N'y A Rien Là

Que D'assez Vraisemblable, Et Raisonnablement On Ne Saurait Demander

À Une Femme, Sur Ce Chapitre, D'être Plus Sincère, Sans La Forcer À

Devenir Inconvenante. Le Lecteur, Ce Semble, Peut Faire Sans Beaucoup

D'effort Le Reste Du Chemin, Pour Peu Qu'il En Ait Envie. Lemontey A

Cherché Grande Malice Dans Quelques Mots D'elle Sur L'abbé De Chaulieu,

Lorsqu'elle Le Va Voir En Sortant De La Bastille, Et Qu'elle Le Trouve

Si Différent De Ce Qu'il Était Par Le Passé: «Il Étoit Déjà Fort Mal,

Dit-Elle, De La Maladie Dont Il Mourut Trois Semaines Après. Je Le Vis,

Et Je Remarquai Combien, Dans Cet État, _Ce Qui Nous Est Inutile_ Nous

Devient Indifférent.» Lemontey[281] Croit Apercevoir Dans Ces Quelques

Mots Une Révélation Qui Échappe; C'est Être Bien Fin. Mais De Quelque

Utilité Que Cette Personne D'esprit Ait Pu Être Dans Un Autre Temps À

L'abbé De Chaulieu Plus Que Septuagénaire, Ce N'est Pas Sur Ce Genre

D'aveu Que Je Fais Porter Le Plus Ou Moins De Sincérité D'un Auteur

Femme Dans Les Mémoires Qu'elle, Écrit. Cette Sincérité Est D'un Autre

Ordre; Elle Consiste Dans Les Sentiments Qu'on Exprime, Dans L'ensemble

Des Jugements Et Des Vues; Ne Pas Se Louer Directement Ni Indirectement,

Ne Pas Se Surfaire, Ne Pas S'embellir; S'envisager Soi Et Autrui À Un

Point Juste Et L'oser Montrer. Et Quel Livre Réussit Mieux Que Celui

De Mme De Staal À Rendre Exactement Cette Parfaite Et Souvent Cruelle

Justesse D'observation, Ce Sentiment Inexorable De La Réalité? C'est

Elle Qui A Dit Cette Parole Durable: «Le Vrai Est Comme Il Peut, Et N'a

De Mérite Que D'être Ce Qu'il Est.» Aussi Ses Mémoires Sont Au Contraire

Des Romans Qu'on Rêve, Et Ils Vont Comme La Vie, En S'attristant.

 

 

Une Âme Noble, Élevée Et Stoïque Jusqu'en Ses Faiblesses, Un Esprit

Ferme Et Délié S'y Marquent En Traits Nets Et Fins. On Y Admire Une

Sûreté D'idées Et De Ton Qui Ne Laisse Pas D'effrayer Un Peu; Il Y A

Si Peu De Superflu Qu'on Est Tenté De Se Demander S'il Y A Tout Le

Nécessaire. Le Mot De Sécheresse Vient À L'esprit; Mais, À La Réflexion,

On Est Réduit À Se Dire, Dans La Plupart Des Cas, Que C'est Tout

Simplement Parfait Et Définitif. Jamais Sa Plume Ne Tâtonne, Jamais Elle

N'essaie Sa Pensée; Elle L'arrête Et L'emporte Du Premier Tour. Il Y A

Bien De La Force Dans Ce Peu D'effort. Pline Le Jeune A Coutume, Dans

L'éloge Qu'il Fait De Certains Écrivains, D'unir Ensemble, Comme Se

Tenant Étroitement Entre Elles, Deux Qualités, _Vis, Amaritudo_, Cette

_Vigueur_ Qui Naît Et Se Trempe D'une Secrète _Amertume_; Mlle Delaunay

(On Peut Citer Du Latin En Parlant De Celle Qui Faillit Devenir Mme

Dacier) Possédait Cette Vigueur-Là. Fréron, Rendant Compte Des Mémoires

Dans Son _Année Littéraire_ [282], A Très-Bien Remarqué Qu'on Peut Lui

Appliquer À Elle-Même Ce Qu'elle A Dit De La Duchesse Du Maine: «Son

Esprit N'emploie Ni Tours, Ni Figures, Ni Rien De Tout Ce Qui S'appelle

Invention. Frappé Vivement Des Objets, Il Les Rend Comme La Glace D'un

Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 231

Miroir Les Réfléchit, Sans Ajouter, Sans Omettre, Sans Rien Changer.»

Selon Moi Pourtant, La Comparaison Du Miroir Ne Grave Pas Assez Pour

Ce Qui Est De Mlle Delaunay; Le Trait Des Objets, Dès Qu'elle Les A

Réfléchis, Reste Comme Passé À Une Légère _Eau-Forte_. Grimm, Dans Sa

_Correspondance_ (15 Août 1755), Louant Également Ces Mémoires, Dit Que,

«La Prose De M. De Voltaire À Part, Il N'en Connaît Pas De Plus Agréable

Que Celle De Mme De Staal.» C'est Vrai; Pourtant Cette Prose, Bien Que

D'une Netteté Si Agréable Et Si Neuve, Ne Ressemble Point À Celle De

Voltaire, La Seule Véritablement Courante Et Légère. La Simplicité De

Diction De Mme De Staal Est Tout Autrement Combinée. Mais Que Fais-Je? A

Quoi Bon M'aller Inquiéter De Grimm Et De Ses À-Peu-Près, Lorsque, Dans

Les Volumes De La Plus Délicate Et De La Plus Délicieuse Littérature

Qu'ait Jamais Produite La Critique Française, Nous Possédons Le Jugement

Et La Définition Qu'a Donnée M. Villemain De Cette Manière Et De Cette

Nuance De Style Dont Mme De Staal Nous Offre La Perfection?

 

En Ce Qui Touche La Personne, L'illustre Critique S'est Montré Plus

Sévère; Il A Cru Voir Jusqu'à Travers Les Peintures Railleuses De La

Femme D'esprit Ce Qu'il Appelle _Le Pli De Sa Condition_: «C'est Une

Soubrette De Cour, Mais Une Soubrette.» Mlle Delaunay A-T-Elle Mérité Ce

Piquant Revers? Et Ce _Caractère Indélébile De Femme De Chambre_, Comme

Elle Le Qualifie Amèrement, Est-Il Donc Si Indélébile Qu'il La Suive

Jusque Dans Les Productions De Sa Pensée? Rien De Moins Fondé, Selon

Moi, Qu'un Semblable Jugement, Rien De Plus Injuste. Nous Avons Vu Qu'il

Était Déjà Tard Pour Elle Lorsqu'elle Entra Chez La Duchesse Du Maine,

Et Que Ce N'était Plus Une Si Jeune Fille Ni Si Aisée À Déformer. Sa

Première Éducation Avait Été Solide, Recherchée, Brillante; Ce Couvent

De Saint-Louis À Rouen, Où Elle Passa Ses Plus Belles Années, Était

«Comme Un Petit État Où Elle Régnoit Souverainement.» Elle Aussi,

Elle Avait Eu Sa Cour, Sa Petite Cour De Sceaux Dans Ce Couvent De

Saint-Louis Où M. Brunel, M. De Rey, L'abbé De Vertot Étaient À Ses

Pieds, Et Où Ces Bonnes Dames De Grieu N'avaient D'yeux Que Pour Elle:

«Ce Qu'on Faisoit Pour Moi Me Coûtoit Si Peu, Dit-Elle, Qu'il Me

Sembloit Être Dans L'ordre Naturel. Ce Ne Sont Que Nos Efforts Pour

Obtenir Quelque Chose, Qui Nous En Apprennent La Valeur. Enfin J'avois

Acquis, Quoique Infiniment Petite, Tous Les Défauts Des Grands: Cela M'a

Servi Depuis À Les Excuser En Eux.» Ainsi Élevée, Ainsi Traitée Jusqu'à

L'âge De Vingt-Six Ans Sur Le Pied D'une Perfection Et D'une Merveille,

Lorsqu'elle Tomba Plus Tard En Servitude, Ce Fut Comme Une Petite Reine

Déchue, Et Elle En Garda Les Sentiments, «Persuadée Qu'il N'y A Que Nos

Propres Actions Qui Puissent Nous Dégrader,» Dit-Elle; Aucun Fait De Sa

Vie N'a Démenti Cette Généreuse Parole. L'inconvénient Pour Elle De Sa

Première Éducation Et De Cette Culture Exclusive, C'eût Été Plutôt,

Comme Elle L'indique Assez Véridiquement, D'offrir Une Teinture

Scientifique Un Peu Marquée, D'aimer À Régenter, À _Documenter_ Toujours

Quelqu'un Auprès De Soi, Comme Cela Est Naturel À Une Personne Qui A Lu

L'_Histoire De L'académie Des Sciences_, Et Qui A Étudié La Géométrie.

Encore Faudrait-Il Observer, Dans La Plupart Des Passages Qu'on Cite À

L'appui De Ce Défaut, Que C'est Elle-Même Qui S'y Dénonce À Plaisir Et

Qui Fait Gaiement Les Honneurs De Sa Personne. Plus D'un Lecteur, À Ces

Endroits, N'a Pas Vu Qu'il Y A Chez Elle Un Sourire.

 

Le Commencement Des Mémoires Est D'une Grâce Infinie Et Tient Du Roman;

C'est Ainsi Que La Vie Se Dessine D'abord _Avant Le Charme Cessé_,

Avant L'illusion Évanouie. Le Séjour Au Château De Silly Chez Une Amie

D'enfance, L'arrivée Du Jeune Marquis, Son Indifférence Naturelle, La

Scène De La Charmille Entre Les Deux Jeunes Filles Qu'il Entend Sans

Être Vu, Sa Curiosité Qui

1 ... 77 78 79 80 81 82 83 84 85 ... 101
Go to page:

Free e-book «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1, C.-A. Sainte-Beuve [ebook reader for surface pro .txt] 📗» - read online now

Comments (0)

There are no comments yet. You can be the first!
Add a comment