Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1, C.-A. Sainte-Beuve [ebook reader for surface pro .txt] 📗
- Author: C.-A. Sainte-Beuve
Book online «Portraits Littéraires, Tome Iii Volume 1, C.-A. Sainte-Beuve [ebook reader for surface pro .txt] 📗». Author C.-A. Sainte-Beuve
Cesserait Dans La Nuit, Mais Que Son Affaissement Lui Faisait Craindre
Que Non, Et Qu'alors Le Lendemain Matin Il Lui Demanderait Du Secours Et
De Choisir Un Renfort De Médecins. J'appris Aussi Que La Famille Royale,
Qui Était Venue Le Voir À Son Arrivée, N'y Était Restée Qu'un Instant,
Et Que Le Roi Lui Avait Dit Qu'il L'enverrait Chercher Quand Il Voudrait
La Voir. Tout Cela Était L'effet Des Persécutions De Mme Dubarry, Qui,
Enragée Du Retour Du Roi À Versailles, Voulait Se Renfermer Avec Lui
Autant Qu'il Serait Possible, Et En Exclure Ses Enfants. Quand Je Dis
Que Mme Dubarry Voulait, J'entends Que M. D'aiguillon Voulait; Car Cette
Femme, Comme Les Trois Quarts De Celles De Son Espèce, N'avait Jamais Eu
De Volonté. Toutes Ses Volontés Se Bornaient À Des Fantaisies, Et Toutes
Ses Fantaisies Étaient Des Diamants, Des Rubans, De L'argent. L'hommage
De Toute La France Lui Était À Peu Près Indifférent. Elle Était Ennuyée
De Toutes Les Affaires Dont Son Odieux Favori Voulait Qu'elle Se Mêlât,
Et N'avait De Plaisir Qu'à Gaspiller En Robes Et En Bijoux Les Millions
Que La Bassesse Du Contrôleur Général Lui Fournissait Avec Profusion;
Soit Crainte, Soit Goût, Soit Faiblesse, Elle Était Entièrement Livrée
Aux Volontés Despotiques De M. D'aiguillon, Qui, S'en Étant Servi Quatre
Ans Plus Tôt Pour Se Tirer Des Horreurs D'un Procès Criminel, L'avait
Employée Depuis Pour L'aider À Se Venger De Tous Ses Ennemis,
C'est-À-Dire De Tous Les Gens Honnêtes, Et Pour Se Servir De Tout Le
Crédit Qu'elle Avait Sur La Faiblesse Apathique Du Roi. Il Lui Avait
Conseillé De Tenir Le Roi À Trianon; Il La Pressait Actuellement De
S'enfermer Le Plus Souvent Avec Lui, Et D'en Écarter Les Princes Et
Mesdames. Il Lui Conseillait Aussi De S'appliquer À Ne Faire Appeler Que
Tard Ceux Qui Avaient Droit D'entrer Chez Le Roi Et D'obtenir De Lui
Qu'il Les Fit Sortir De Bonne Heure. Il Voulait Qu'il Ne Fût Livré Qu'à
Elle Et À Ceux Qu'elle Y Introduirait, Te Roi, Comme Je L'ai Dit, Avait
Déjà Fait Acte De Soumission En Disant À Ses Enfants De Ne Pas Revenir
Sans Qu'il Les Envoyât Chercher. Il L'avait Fait Encore En N'appelant
Ses Grands-Officiers À Trianon Qu'à Quatre Heures, Et En Les Congédiant
À Neuf Heures Et Demie; Et Voilà Vraisemblablement Ce Qui Se Serait
Passé Pendant Le Cours De La Maladie Du Roi, Si Elle Se Fût Prolongée
Sans Devenir Plus Grave.
[Note 313: Une _Personne_, C'est-À-Dire Une Maîtresse. Les Plus
Vertueux Ont Leur Côté Faible Et Leur Coin Chatouilleux. M. De La
Rochefoucauld-Liancourt Avait Été Galant Dans Sa Jeunesse, Et Il N'est
Pas Fâché De Le Faire Sentir.]
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 273Après Avoir Su Que Lui-Même En Était Exclu Par Mme Dubarry, Qui Y Était
Actuellement Renfermée Seule, Ou Avec M. D'aiguillon. Cependant La
Fièvre Se Soutint Dans La Nuit Avec Assez De Force, Il Y Eut Même De
L'augmentation; Les Douleurs De Tête Devinrent Plus Fortes, Et Nous
Apprîmes À Huit Heures Du Matin Qu'on Allait Saigner Le Roi. Cette
Saignée Avait Été Ordonnée Par Lemonnier, D'accord Avec La Martinière.
Nous Apprîmes Aussi Qu'on Avait Été Chercher À Paris Lorry Et Borden.
Lemonnier, Suivant Son Projet De La Veille, Avait Demandé Au Roi Du
Secours, Et L'avait Prié De Choisir Ceux Des Médecins Qu'il Désirait
Appeler En Consultation. Il A Dit N'en Avoir Proposé Aucun, Et Cela Est
Vrai; Le Roi Les Avait Choisis L'un Et L'autre, Toujours D'après Mme
Dubarry. L'un Était Son Médecin, L'autre L'était De M. D'aiguillon;
Et Celui-Ci Avait Engagé La Maîtresse À Déterminer Le Roi À Ce Choix,
Espérant Se Servir D'eux, Suivant Ses Besoins, Dans Le Cours De La
Maladie. Lassonne Fut Aussi Appelé; Mais Comme Il Était Médecin De Mme
La Dauphine, Il Le Fut Purement Du Choix De Lemonnier. La Nouvelle De La
Saignée Fit Arriver Tous Les Courtisans; Ceux Qui Avaient Des Charges,
Ceux Qui N'en Avaient Pas, Tout Accourut, Et Le Cabinet Se Trouva
Bientôt Rempli De Gens Qui Désiraient Savoir Des Nouvelles Du Roi Et
N'avaient Aucun Moyen De S'en Procurer. Il Ne Sortait Encore Presque
Personne De La Chambre, Et Ceux Qui En Sortaient Ne Parlaient Pas; On Ne
Disait Rien. Cependant, La Saignée Du Roi Faite, La Fièvre Subsistante,
Les Médecins Appelés, Tout Cela Annonçait Que L'on Craignait Une
Maladie, Et Donnait Un Grand Champ Aux Spéculations De Toute La Cour.
Mme Dubarry Persistait À Croire Que La Fièvre Du Roi Ne Durerait
Certainement Que Vingt-Quatre Heures Encore; Elle Voyait Ce Que M.
D'aiguillon Lui Faisait Voir, Et Toujours, D'après Ses Conseils, Se
Bornait À Retarder L'appel Des Entrées Et À Occuper Physiquement Le Roi
D'elle. Les Gens De Son Parti Voyaient, Comme Elle, Impossibilité À Ce
Que Le Roi Fût Malade, Et Regardaient Cette Petite Incommodité Comme Un
Moyen Qui Servirait Encore À Augmenter Son Crédit... Les Ennemis De M.
D'aiguillon, Au Contraire, Et Ceux De Mme Dubarry, Désirant Que Quelques
Accès De Fièvre Répétés Inquiétassent Assez Le Roi Pour Lui Faire
Recevoir Les Sacrements, Le Voyaient Déjà Assez Malade Pour Ne Pas
Douter Que Leurs Désirs Ne Fussent Absolument Accomplis. Chacun Croyait
Ce Qu'il Voulait Croire, Et Chacun Croyait Également Sans Fondement.
Tandis Que Ce Grand Intérêt Occupait Toute La Cour, M. D'aumont Ne
Perdait Pas De Vue Ses Prétentions Et Le Désir D'étendre Et D'augmenter
Ses Droits De Gentilhomme De La Chambre. Ce Désir, Qui Lui Était Commun
Avec Tous Ses Camarades, Se Montrait En Lui D'une Manière Plus Ridicule
Et Plus Grossière, Parce Qu'à La Bassesse Plate Et Vile Qui, Comme Je Le
Dis, Était La Base De Son Caractère, Il Joint Une Bêtise Et Une Bonne
Opinion De Lui Qui En Fait L'ornement. Il Avait Entendu Dire Que,
Pendant La Maladie Du Roi À Metz, M. De Richelieu S'était Enfermé
Seul Avec Lui Et Avait Interdit La Porte À M. De Bouillon Et À Mon
Grand-Père, Qui Avaient Eu L'un Et L'autre La Faiblesse De Souscrire
À Cette Volonté Ridicule De M. Le Maréchal. Il Voulait Suivre Le
Même Plan; Mais Il Avait Affaire À Gens Qui Connaissaient Toutes Ses
Prétentions, Qui Se Tenaient En Garde Contre Elles, Et Qui, Sans Vouloir
Augmenter Leurs Droits, Étaient Déterminés À N'en Rien Laisser Attaquer.
Telles Étaient Les Dispositions De Mon Père, Les Miennes, Celles De M.
De Boisgelin[314]; C'étaient Aussi Celles De M. De Bouillon[315], Et
Nous Nous Étions Tous Proposé De Ne Laisser Pénétrer Ni Rester Aucun
Gentilhomme De La Chambre Dans L'intérieur Du Roi Sans Que Nous Y
Fussions Avec Eux. M. D'aumont S'occupait Aussi De Reculer Les Entrées,
C'est-À-Dire De Ne Laisser Entrer Les Personnes Qui Avaient Droit
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 274D'entrer Dans Une Chambre Que Dans Celle Qui La Précédait; Par Ce Moyen,
Il Laissait Libre Et Sans Bruit La Salle Du Conseil, Qui Précédait
Immédiatement La Chambre Du Lit, Et Cet Arrangement Était Raisonnable.
Cependant Mm. Les Capitaines Des Gardes, Et Nommément M. De Beauvau
Et M. Le Duc D'ayen, S'en Formalisèrent D'une Manière Qui Me Parut
Ridicule; Car Ce Changement, En Procurant Plus De Tranquillité Au Roi,
N'attentait Nullement À Leurs Droits, Et Ne Les Confondait Pas Avec
Plus De Monde, Puisque La Chambre Où L'on Plaçait Leurs Entrées Était
Interdite À Tous Ceux Qui Ne Les Avaient Pas. M. De Beauvau, D'ailleurs
Très-Facile À Vivre Dans L'ordre Ordinaire De La Société, Est Ce Qu'on
Appelle Susceptible Dans Les Choses Qui Tiennent À Sa Charge.
[Note 314: Le Comte De Boisgelin, L'un Des Maîtres De La Garde-Robe.]
[Note 315: Le Duc De Bouillon, Grand-Chambellan.]
Cependant Il Était Midi, Et Les Médecins Venaient D'arriver. On Appela
À La Fin La Garde-Robe, Et Nous Trouvâmes Le Roi Entouré D'une Foule De
Médecins Et De Chirurgiens, Les Questionnant Avec Une Faiblesse Et Une
Inquiétude Inexprimables Sur La Marche De Sa Maladie, Sur Leur Opinion
De Son État, Et Sur Les Remèdes Qu'ils Lui Donneraient Dans Tel Ou Tel
Cas. Les Médecins Le Rassuraient, Caractérisant Sa Maladie De Fièvre
Catarrheuse; Mais Ils Montraient Plus D'inquiétude Dans La Manière Dont
Ils Le Traitaient Que Dans Leurs Paroles. Ils Avaient Déjà Annoncé
Qu'ils Feraient Une Seconde Saignée À Trois Heures Et Demie, Et Même Une
Troisième Dans La Nuit, Ou Dans La Journée Du Lendemain, Si La Seconde
Ne Débarrassait Pas Le Mal De Tête, Le Roi, Dont Les Questions Répétées
Avaient Poussé Les Médecins À Lui Faire Cette Réponse, S'en Montrait
Fort Mécontent. «_Une Troisième Saignée_, Disait-Il, _C'est Donc Une
Maladie! Une Troisième Saignée Me Mettra Bien Bas, Je Voudrais Bien
Qu'on Ne Fit Pas Une Troisième Saignée. Pourquoi Cette Troisième
Saignée?_» Les Rois Ne Peuvent Rien Dire Qui Ne Soit Répété Et Même
Interprété. Ses Propos Sur La Troisième Saignée Coururent Bientôt
Versailles. Ils Nous Avaient Frappés En Les Entendant; Ils Firent Le
Même Effet Sur Tous Ceux Qui Les Apprirent, Et Le Sentiment Général Fut
De Conclure Qu'une Troisième Saignée Prouverait Au Roi Qu'il Était Bien
Malade, Et Le Déterminerait Au Renvoi De Mme Dubarry. Ici On Avait
Toujours Entendu Dire Qu'une Troisième Saignée Devait Faire Recevoir
Les Sacrements; Et, Suivant La Disposition Favorable Ou Contraire À La
Maîtresse, Chacun Craignait Ou Espérait De La Voir Ordonner. Comme Le
Parti De Ceux Qui Désiraient L'expulsion De Mme Dubarry Et De Ses Vils
Sectateurs N'était En Général Composé Que De Gens Honnêtes, Il Se
Bornait À Désirer Tout Ce Qui Pouvait En Hâter Le Moment, Mais Ne
Formait À Cet Égard Aucunes Intrigues. Il N'en Était Pas De Même Du Vil
Parti Qui La Soutenait: Accoutumé Aux Menées Sourdes, À Des Intrigues
Basses Et Enveloppées, Il Était Déterminé À Les Employer Dans Une
Occasion Réellement Intéressante. On Entoura Donc Les Médecins, On Les
Chambra; On Fit Envisager Aux Honnêtes, Ou À Ceux Qu'on Croyait Tels,
Combien Le Roi Avait Été Frappé De L'idée De Cette Troisième Saignée,
Combien Il Se Croirait Malade S'il Se La Voyait Faire, Et Quel Était
Le Danger De La Peur Pour Un Homme De Cette Faiblesse Et De Cette
Pusillanimité. On Parlait Plus Clair À Ceux Que L'on Croyait Moins
Honnêtes, Et On Leur Montrait Que La Troisième Saignée Allait Faire
Recevoir Les Sacrements, Renvoyer Mme Dubarry, Et Par Conséquent Qu'ils
S'en Feraient, En L'ordonnant, Une Ennemie Irréconciliable, Car On Ne
Mettait Jamais En Doute Qu'elle Ne Revint Bientôt Après. Les Dubarry,
Les D'aiguillon, Les D'aumont, Les Richelieu, Les Bissy, Employaient
Leur Éloquence, Mettaient En Jeu Tous Leurs Moyens Pour Persuader La
Volume 1 Title 1 (Portraits Littéraires, Tome 3) pg 275Faculté, Et En Étaient Venus À Bout. La Médecine De Bordeu Et De Lorry
Est Assez Complaisante, Et Se Prête Volontiers Aux
Comments (0)